La commandante Bonfanti sait comment brouiller les pistes

La petite Monica avec sa sœur et son frère (respectivement ses aînés de cinq et trois ans) et la commandante Bonfanti. © DR / Yves Leresche
Polyglotte, la commandante de la Police genevoise Monica Bonfanti est une Tessinoise du monde, avec des racines lémaniques et hollandaises, du côté maternel, qui se mêlent à celles de son père italien et lucernois. Sans compter un ancêtre Préfet de police en Guyane.
Elle est née et a grandi au Tessin. Son père, Stephan, est Lucernois d’origine italienne. Sa mère, Monique, est suisse alémanique et hollandaise. «A la maison, raconte Monica Bonfanti, née en 1970, nous parlions suisse-allemand et italien, français aussi et, à l’école, c’était bien sûr l’italien.» Surprenante dans ce tableau polyglotte déjà contrasté, la pratique de la langue de Molière est un héritage maternel: «Ma grand-mère est née et a grandi à Lausanne, sa mère était Hollandaise et son père romand.» Pendant qu’on y est, en fait de racines néerlandaises, Monica Bonfanti ne les situe pas aux Pays-Bas proprement dit, mais du côté de la Guyane néerlandaise: «Un de mes ancêtres y était Préfet de police dans les années 1700.»
La commandante de la Police cantonale genevoise depuis 2006, aurait-elle l’art de brouiller les pistes? Le colonel Bonfanti, c’est son grade depuis 2016, rit de bon cœur. Même Wikipédia s’évertue à semer la confusion. On peut lire qu’elle a étudié dans une université catholique de Milan. «Mais non, pas du tout!», s’amuse Monica Bonfanti. Catholique, certes, elle l’est par son père Lucernois. Pour la petite histoire, au passage, elle signale que ses parents n’ont pas pu célébrer leur mariage en bonne et due forme. Sa mère était protestante. Lors de la cérémonie de l’union, elle a dû promettre d’élever ses enfants dans la foi catholique.
Parents contents... mais inquiets
Etudiante, c’est à l’Université de Lausanne (fondée il y très longtemps par des Bernois protestants), qu’on repère la jeune Tessinoise dès 1993. Monica Bonfanti étudie les sciences forensiques à l’Institut de Police scientifique et de Criminologie. Elle obtiendra son doctorat en 2001, après avoir défendu une thèse sur l’analyse 3D des douilles et projectiles d’armes à feu.
Comment ses parents ont-il pris la chose quand leur fille leur a annoncé qu’elle serait Cheffe de la police genevoise? «Ils étaient contents de cette possibilité qui me fut offerte, mais inquiets de la charge de travail que cela représentait pour la femme de 35 ans que j’étais.» A l’époque, la nomination d’une femme à un tel poste ne manqua pas de surprendre. « Mais pas mes parents qui ont toujours été en faveur de l’égalité. Je me serais découverte une passion pour les voitures et les moteurs, quitte à devenir mécanicienne, cela ne leur aurait posé aucun problème.»
Monica Bonfanti avec ses parents sur plage de la mer du Nord aux Pays-Bas,
où elle passait ses vacances d'été. © DR
Durant son enfance, Monica Bonfanti a également été élevée dans le respect des institutions: «Lorsqu’ils n’étaient pas d’accord avec telle ou telle prise de décision, mon père et ma mère ont toujours réfléchi trois fois avant de faire connaître leur mécontentement.»
Respect de la différence
De toutes les valeurs positives transmises dans le milieu familial, Monica Bonfanti en souligne une, cardinale à ses yeux de colonel: «Le respect des autres. C’était une caractéristique de mon père ingénieur-technicien qui a travaillé en Afrique du Sud dans le domaine de l’électrification. Durant toutes ces années, il a été heurté par le régime de l’apartheid. Il nous expliquait ce que cela signifiait de traiter les gens différemment en fonction de leurs couleurs. Pour lui, c’était profondément révoltant.»
Lorsqu’elle est confrontée à des phases difficiles ou qu’elle doit prendre une décision délicate, à qui la commandante Bonfanti pense-t-elle? «Dans les moments de crise ou de doute, on se tourne facilement vers ses parents. A chaque étape importante de ma carrière, je les ai consultés. En 1993, j’avais fait les démarches pour tourner avec Holiday On Ice (NDLR, elle fut championne suisse de patinage synchronisé). Mon père m’avait dit: «Tu penses vraiment que c’est là ta carrière? Tu as une licence et tu as les capacités de faire un doctorat.» Un conseil prodigué sur un ton «péremptoire» qui ne laissa aucune place au doute chez sa fille. Des regrets? «Non! Mais, c’est toujours difficile de se prononcer après coup, sans savoir comment les choses auraient pu évoluer. Aujourd’hui, je peux affirmer que je suis contente.»
La police, cette famille
Quand on parle de la police, il est parfois de bon ton d’évoquer «la grande maison» ou de la «grande famille». Monica Bonfanti se reconnaît-elle dans ce sentiment d’appartenance, hors racines familiales? «A la police, c’est plus que des collègues. Chaque membre d’une patrouille confie sa vie dans les mains de l’autre. On connaît de nombreux cas où les réflexes d’un policier ont pu sauver la vie d’un autre. Nous sommes confrontés à des situations difficiles, telles que la mort blanche d’un enfant, des tentatives de réanimation, des meurtres, des agressions - sexuelles ou autres - et les fonctionnaires de police ne peuvent pas en parler de retour chez eux, tenus qu’ils sont par leur secret de fonction. La réaction normale, c’est d’en parler avec ses collègues. A l’intérieur d’une famille, normalement, les liens sont forts. Au sein de la police, il en va de même, alors qu’on ne partage pas le même patrimoine génétique.»
En fonder une de famille, la commandante de police cantonale genevoise y a-t-elle songé? «Je suis arrivée à ce poste à 35 ans. Cette fonction prend beaucoup de temps, il n’y a pas d’horaire et je déteste faire les choses à moitié. Il me semblait que les conditions idéales n’étaient pas réunies.»
Célibataire, sans enfants, Monica Bonfanti a tout le temps d’affronter les défis du moment: la reprise nette d’activités criminelles depuis la fin de la pandémie. Il s’agit aussi de se préparer à de possibles pénuries sur le plan énergétique: «La police doit être prête à servir dans un contexte de crise.»
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Plus loin que le Tessin, quand on habite Genève, on ne fait guère mieux en Suisse. Monica Bonfanti est souvent allée rendre visite à ses parents. Son père n’est plus de ce monde depuis cet été. Avec sa mère, elle échange beaucoup par téléphone. «Elle est fan de visioconférence.» Une belle fois, la commandante ira explorer les terres de son ancêtre Préfet de Guyane. Promesse à elle-même. Mais ce n’est pas encore l’heure.
Nicolas Verdan