Géraldine Fasnacht: la maman-poule qui tutoyait les cimes

@Anthony Demierre DR
Après une pause, le temps de donner naissance à un beau bébé, la wingsuiteuse et freerideuse, est de retour. Mais en mode pédale douce, histoire de se garder du temps pour cajoler son bout de chou.
Tutoyer les cimes, Géraldine Fasnacht y a passé sa vie. Sur son snowboard, en dessinant des lignes dans la neige immaculée, en se jetant de promontoires en tous genres pour s’adonner au base jump ou en attaquant un vol en wingsuit — sa combinaison ailée — afin de longer les falaises. « La montagne, c’est mon terrain de jeux préféré, nous explique la Lausannoise de 40 ans. C’est là où j’aime être, là où je puise mon inspiration et mon énergie. Les sports extrêmes se sont imposés à moi, parce que je vis à Verbier, dans un environnement qui s’y prête. » Elle a d’ailleurs encore le regard qui brille en évoquant ses premiers freeride à 10-12 ans, d’abord sur des itinéraires balisés, puis sur des versants plus difficilement atteignables. Une petite blonde qui amusait les pisteurs avec ses questions incessantes pour savoir comment rejoindre telle pente réputée.
Aujourd’hui, ces cimes, elle les survole en ULM. Oh, pas un de ces engins un temps plébiscité par Nicolas Hulot, simple charriot soutenu par une aile delta, mais un vrai petit avion — « un trois axes », comme on les appelle — ne dépassant pas les 525 kilos tout mouillé. Sa nouvelle marotte ? Se poser sur les plus beaux glaciers — si possible avec un complice, histoire de partager sa passion pour le grand air et la neige — avant d’aller rider un beau sommet. Trois petits films relatant ses exploits sont déjà en ligne sur son site internet et sur sa chaîne YouTube.
Et deux nouveaux pics sont déjà programmés cet hiver. « Piloter un avion, c’était un vieux rêve, nous avoue-t-elle. Mais un ULM, c’est difficile : plus fin qu’avec un véritable avion. C’est tellement léger que, dès qu’il y a un peu de vent, on est beaucoup plus balloté. Et puis, comme on se pose sur une pente qui monte, en atterrissant sur un glacier, il y a un point de non-retour : à un moment, on ne peut plus remettre les gaz pour repartir et refaire une approche si on loupe son coup. Alors, on sait que tout doit être parfait… »
Réduire le facteur risque
Mais, pour cette triple victorieuse de l’Xtreme de Verbier — le gaal du freeride — qui a aussi ouvert tant de sommets en wingsuit — dont le Cervin —, la donne a changé depuis quelques mois. Car l’athlète est aujourd’hui maman. Une « maman-poule », même, dixit son mari, Simon Fasnacht (ex-Wandeler). Leur petit Odin vient de fêter son premier anniversaire et elle l’emmène partout. « Je lui ai trouvé une petite luge. Il fait sa sieste quand on part marcher en montagne, avec mon époux. Arrivés au sommet, on fait un pique-nique en amoureux et on redescend gentiment. Mais je ne veux rien imposer à mon fils. On va essayer d’être les meilleurs parents possibles, lui laisser faire ses propres expériences et trouver sa passion, que ce soit la montagne ou autre chose. Je pense que, dans la vie, on doit faire ce qu’on sent au plus profond de nos tripes, ce qui nous rend le plus heureux. Là où l’on rayonne ! C’est ce que je souhaite transmettre à mon fils. »
Elle marque un silence… Pour avoir déjà surmonté son lot de drames, elle le sait bien : la vie est trop fragile pour ne pas la vivre à fond. Son premier mari est mort dans ses bras en 2006, après un accident de speed flying, son petit frère s’est éteint à 8 ans, renversé par une voiture et, il y a quelques mois, c’est le Covid-19 qui frappait autour d’elle. « Avec Simon, on a contracté le virus au mois de mars. On a passé trois semaines cloués au lit, mais ma belle-mère l’a attrapé en même temps que nous et elle en est décédée le 4 avril… Dans la vie, on ne peut être sûr de rien. » Alors vivre à fond, ne veut pas dire prendre des risques inconsidérés. Loin de là. D’autant plus que, depuis qu’elle est maman, la sportive a largement revu à la baisse ce facteur risque.
« Aujourd’hui, je m’expose moins. Les exploits demandant trop de préparation, je ne les fais plus. Et je ne pars plus sauter ou voler que lorsque les conditions sont idéales. J’ai fait mon nid et je suis hyper heureuse de passer du temps avec mon bébé. »
Un papet pour se remettre les pieds sur terre
Ajoutez à ça, les années qui passent. Pour un sportif de haut niveau, 40 ans,c’est généralement là où les problèmessurviennent. Elle s’estime néanmoins chanceuse de ce côté-là. Ses genoux vont bien, malgré trois ligaments croisés et déchirés. Même ses hernies discales ont disparu. « J’ai un corps bionique ! nous glisse-t-elle avec un clin d’œil. Plus sérieusement, mon corps m’a toujours suivi, je peux m’estimer heureuse. » Reste le plus important, le comble pour celle que l’on surnomme la « femme-oiseau » : savoir garder les pieds sur terre. « A enchaîner les exploits, on peut facilement avoir la sensation d’être invincible, se prendre pour Wonder Woman. C’est là que ça devient dangereux ! C’est très important de savoir se poser, surtout après une belle prouesse, et revenir à des choses plus terre à terre. Histoire d’éviter de se brûler les ailes… et de se tuer. »
Un bon papet
Elle a d’ailleurs un truc imparable pour ça : manger un bon papet vaudois chez sa mère. « J’adore revenir chez mes parents. J’ai grandi dans un village au-dessus de Lausanne, à Poliez-le-Grand, où j’ai appris ce qu’était le travail : s’occuper des animaux, trier les patates… La vraie vie ! Et, quand j’y retourne pour voir mes proches, ça me remet, d’un coup, les idées en place. »
Après, on ne se refait pas… En septembre dernier, aussitôt guérie du Covid-19, après trois mois de complications respiratoires, elle s’est ruée avec son mari au sommet du Cervin pour se lancer de nouveau en wingsuit. « Je ne me lasse pas de cette sensation : une communion avec l’élément, le sentiment d’être privilégiée et de profiter d’un moment magique avec la nature. C’est juste unique ! »
Christophe Pinol