Frédéric Lenoir: «Ce qui va nous sauver, c’est la spiritualité!»

photo: © Jean-Guy Python

Frédéric Lenoir va sortir un livre sur l’apprentissage de la philosophie par les enfants. Il sera aussi à Crans (VS) pour évoquer son best-seller La puissance de la joie.

Si vous ne l’avez pas lu, vous avez certainement vu passer sur les écrans de la télévision ses yeux bleus pétillants et sa barbe impeccablement taillée. Ce fringuant philosophe n’est autre que Frédéric Lenoir, l’auteur de La puissance de la joie, un best-seller humaniste et éclairé qui, depuis sa parution en octobre 2015, poursuit un chemin royal dans toute la francophonie. Habitué aux voyages et aux conférences – de la Côte d’Ivoire au Canada … – le quinquagénaire était récemment de passage en Suisse, plus précisément en Valais où, glisse-t-il volontiers, il rêverait de posséder un chalet «où se retirer pour des temps d’écriture».

 

Le mois prochain, l’auteur sortira un nouveau livre consacré à l’apprentissage de la philosophie par les enfants. Il sera aussi l’hôte d’une conférence à Crans-Montana, au côté du poète Christian Bobin.

Frédéric Lenoir, vos conférences font salle pleine où que vous les teniez. Quel est votre secret?

Je parle de la vie ! Mon leitmotiv : exister est un fait, vivre est un art, et cet art s’apprend ! Il faut apprendre à se connaître, donner du sens à sa vie : voilà les questions existentielles qui créent le fil conducteur de mes interventions. Ma spécificité est d’avoir relié les savoirs : je parle de la vie, mais en m’appuyant tant sur la philosophie, la psychologie, la théologie que les sciences ou l’histoire. Une transversalité que je dois à mon maître Edgar Morin. C’est lui qui m’a libéré du carcan universitaire.

On vit donc si mal aujourd’hui ?

Il y a un besoin de sortir de l’idéologie dominante qui veut qu’on ne puisse s’épanouir qu’au travers des choses matérielles et des biens extérieurs, comme la reconnaissance sociale, l’argent et le pouvoir. Plein de gens, devenus malheureux, en voient la limite aujourd’hui et veulent échapper à cette logique qui détruit la société et la planète.

Pratiquement, que proposez-vous ?

Ce que je développe est un humanisme spirituel, qui tient compte de la quête profonde de l’homme, qui intègre les questions de la mort, de l’au-delà, du sens, de la dimension de l’intériorité. Cette vision est là pour répondre aux deux idéologies qui sont en train de tuer le monde : l’idéologie matérialiste, que je viens de citer, et le fanatisme religieux. Ce qui va nous sauver, c’est la spiritualité, le fait de redécouvrir ce qu’il y a de beau dans la religion. C’est la dimension verticale qui nous fait grandir ! Il y a quelque chose de plus grand que nous et qui nous permet de nous accomplir.

 

Les fanatiques peuvent-ils vous entendre ?

Trop tard, ils sont déjà endoctrinés. Mon credo, c’est qu’il faut toucher les enfants, par l’éducation. Je soutiens depuis des années qu’il faut développer la philosophie dès l’école primaire pour que les enfants apprennent à penser par eux-mêmes et évitent, par la suite, de se faire endoctriner. J’ai du reste eu envie de le faire concrètement: je mène aujourd’hui des ateliers philo dans la francophonie. A Molenbeek, par exemple, en Belgique, je rencontre des enfants qui sont tous issus de l’immigration et je vois qu’ils ont une formidable ouverture à cet apprentissage ! Plus ils apprendront, plus ils seront libres de penser par eux-mêmes. Mon prochain livre sera du reste consacré à ce thème: pratiquer la philo avec les enfants du primaire, c’est la réponse au fanatisme, c’est l’éducation. J’explique une méthode pour que la parole circule et crée du débat.

Six ans, ce n’est pas trop tôt ?

Les ados sont déjà formatés. Entre 6 et 10 ans, il y a une plasticité neuronale extraordinaire qui permet l’acquis pour la suite. Montaigne l’a bien dit: l’éducation vise à faire une tête pleine, on ferait mieux de faire une tête bien faite. Apprendre à juger, à discerner. L’ère numérique dans laquelle les jeunes sont versés ne va, hélas, pas toujours dans ce sens …

Votre dernier livre consacré à la joie cite Spinoza ou d’autres philosophes. Mais ils ne sont pas faciles à lire !

J’essaie de faire de la pédagogie : rendre accessibles des auteurs difficiles. Tout le monde n’a pas la chance, comme moi, d’avoir fait des études en abordant ces grands auteurs. Quand j’explique ce que dit Spinoza, on me répond parfois : « C’est toujours ce que j’ai pensé sans pouvoir l’exprimer. » Il y a une sorte de pensée de la vie qui nous donne son expérience et dont je donne les clés, c’est tout.

Une vulgarisation qui vous vaut des critiques …

Pour moi, c’est plus difficile de bien vulgariser que d’écrire des textes difficiles. Ceux qui me critiquent n’y arrivent peut-être pas, sont jaloux ou ont peur de le faire … Il faut être fidèle et rigoureux, mais parler avec des mots d’aujourd’hui. Au départ, ces critiques m’ont fait un peu mal, plus maintenant. Et je dois vous dire que les grands universitaires reconnus n’ont pas ce problème avec moi.

 

Beaucoup de vos lecteurs, du reste, vous disent merci sur votre page Facebook …

Oui, il y a beaucoup de gratitude! Nombre d’entre eux me disent que mes livres ont changé leur vie … Ces choses me dépassent complètement. Je n’y pense pas quand j’écris.

C’est lourd à porter ?

Non, même pas. Mais ce livre sur la joie, par exemple, est une bouteille lancée à la mer … Les gens en font ce qu’ils veulent, même si je préfère savoir qu’il fait du bien. Hier encore, on m’écrivait qu’un livre avait apaisé un lecteur dont le frère décédait. Les gens me racontent des choses très intimes. Mais je suis tout de même surpris de la profondeur de l’impact.

Vous leur répondez ?

Parfois, mais je me vois plutôt comme une espèce d’instrument. Jamais, je ne me suis senti comme un grand philosophe. Je suis plutôt un passeur.

Et cette joie que vous prônez, vous la pratiquez aussi pour vous ?

Ce livre, je l’ai fait d’abord pour moi. Il y a un an, j’ai eu un deuil très important, ma compagne est décédée. J’ai été dans une très grande tristesse, mais, à un moment, j’ai accepté. Et, dès l’instant où j’ai accepté, une joie m’est tombée dessus. Après la colère ou la culpabilité, j’ai en effet réalisé qu’il fallait que je lâche. Comme un déclic de l’esprit. Bien sûr, cette joie a cohabité avec la tristesse, je pleurais aussi. Mais elle était dans mon cœur. C’est mystérieux, la vie nous la donne quand on l’accepte.

Mon père était un haut fonctionnaire, autoritaire, tyrannique qui m’a donné le goût de la philosophie, mais qui ne voulait absolument pas que je le dépasse

Vous racontez aussi, dans ce livre, comment vous avez retrouvé votre père …

Mon père était un haut fonctionnaire, autoritaire, tyrannique qui m’a certes donné le goût de la philosophie, mais qui ne voulait absolument pas que je le dépasse. Il m’a transmis quelque chose de très lourd, une injonction paradoxale qui dit: « Sois important, mais ne me dépasse jamais. » J’ai mis 50 ans pour y parvenir, après un long chemin qui m’a permis de me libérer de son regard. Il a eu du mal à l’accepter, mais s’est aussi libéré. Il a aujourd’hui 90 ans et on s’est retrouvés ! Nos relations sont maintenant très positives.

Vous dites qu’il a accepté d’être « vulnérable » …

Il était dans la maîtrise et le pouvoir. Avec la vieillesse, il est devenu fragile, a dû renoncer à son autonomie. En s’apaisant, il est redevenu comme un enfant : il ne s’énerve plus tout le temps, il est doux, il marche tout doucement, cela m’émeut énormément … Ce qui est beau, c’est quand les personnes âgées acceptent que le handicap de la vieillesse puisse être l’occasion d’aller plus loin dans d’autres domaines. Le lien, le cœur, l’attention. Lui n’est plus dans l’efficacité mais dans le lien. Je le sens plus dans la joie.

Une dame de 83 ans écrit qu’elle a envie de renaître à elle-même après vous avoir lu. C’est la même chose ?

Oui, avec l’âge, on n’est plus dans le faire ou la projection sociale mais dans la joie du lien.

Notre société n’a pas toujours ce regard sur la vieillesse …

Je suis frappé de voir à quel point, dans les sociétés traditionnelles, les vieux sont valorisés par l’expérience, leur savoir et la transmission que l’on attend d’eux. Nous, on a toujours survalorisé le faire par rapport à l’être avec, comme valeur suprême, l’action. En deux siècles, l’Europe s’est concentrée sur la technologie, la matière, le pouvoir, le social, et c’est un vrai changement de paradigme qu’il faut opérer ! Regardez, cette suractivité de l’homme occidental pose plein de problèmes : écologique, économique, avec un espoir de croissance infinie … Et c’est parler sans la fatigue et des burn-out qui s’abattent sur chacun. La compétition tue et les gens craquent. On est à la limite du système. Désormais, on va aller dans le développement d’une économie sociale et solidaire dont le but n’est pas le profit. Aujourd’hui, de nombreuses personnes font d’ailleurs le choix personnel de gagner moins pour valoriser la qualité de vie.

Vous parrainez une association qui va dans ce sens, non ?

Oui, le Pari Solidaire: des gens âgés vivent seuls dans de grands appartements et des étudiants fauchés cherchent des logements. J’ai voulu soutenir cette association qui les met en lien dans toute la France. Rien de matériel, que de l’intergénérationnel !

Propos recueillis par Blaise Willa


Plus d'infos:

  • Conférence le 1er octobre, à 20 h, au Centre de congrè Le Régent à Crans-Montana (VS), avec Frédéric Lenoir et Christian Bobin.

  • La puissance de la joie, Editions Fayard

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