Charles Juillard, le Jura chevillé au cœur

Au Pépin, à Porrentruy, le sénateur jurassien est chez lui. © Sandra Culand
Le conseillers aux Etats jurassien Charles Juillard a grandi dans une famille d’agriculteurs engagée dans la Question jurassienne. Chez lui, savoir d’où l’on vient est une clé d’ouverture aux autres et au monde.
Dans le paisible cœur historique de Porrentruy, tout le monde se dit bonjour. C’est dans cette atmosphère villageoise, à deux heures trois quarts de Paris en TGV, que nous trouvons Charles Juillard. Le conseiller aux Etats jurassien (Centre) nous a donné rendez-vous au Pépin, un bar à café et à vin à l’accueil plein de bonhomie: «J’habite et je suis né à Porrentruy. En 1962, la ville comptait déjà une maternité.» Originaire du village de Damvant, où son père agriculteur a été maire pendant vingt-quatre ans, Charles Juillard a grandi aux portes de la France: «La frontière, je l’ai toujours vécue au quotidien. D’ailleurs, côté paternel, la moitié de ma parenté est française.»
Village coupé en deux
Du côté de sa maman, en revanche, une partie des racines sont alémaniques: «Ma grand-mère maternelle est une Lachat, la dernière d’une famille de neuf à être née à La Scheulte.» Une commune située dans l’arrondissement administratif du Jura bernois. «Durant ses dernières années, elle parlait plus facilement l’allemand que le français.» Une langue que son petit-fils politicien sait manier: «Pendant trois ans, j’ai dirigé, à Berne, la Conférence des directeurs des finances. On a intérêt à bien comprendre l’allemand, quitte aussi à savoir dire deux ou trois mots.»
Pour cet enfant du Jura, la politique a toujours été intimement liée à la vie familiale. En 1974, Charles Juillard va sur ses 12 ans quand le peuple des sept districts du Jura décide de créer un nouveau canton. Autour de la grande table, les discussions vont bon train: «Le village était coupé en deux, entre les radicaux, pro-bernois, et le PDC, pro-jurassien. C’était l’époque de la guerre des affiches, déchirées tour à tour par le camp adverse.» Autant dire que le petit Charles est tombé très jeune dans la marmite. A 6 ans, fin observateur de la politique locale, il apprend qu’un voisin agriculteur, PDC comme son père, ne l’a pourtant pas soutenu lors de son élection à la mairie de Damvant: «En partant à l’école le matin, je le vois à son fumier et je lui lance: «Salut gros rouge!» Les rouges, c’étaient les radicaux. Le type était furax.» A midi, quand il rentre pour dîner, le politicien en herbe se fait remonter les bretelles. «J’ai dû aller m’excuser.» Une leçon de vie, «et d’humilité» pour Charles Juillard qui sait désormais qu’il «faut tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de s’exprimer».
Le petit Charles a passé une enfance agricole à Damvant, un petit village sur la frontière française. © DR
Sagesse, ouverture d’esprit, respect de l’autre, autant de valeurs qui lui viennent de ses parents. Un centriste «du centre», une position défendue par ce sénateur jurassien soucieux de dépasser les limites partisanes. Lui, le PDC dans l’âme, n’a-t-il pas été l’un des plus ardents défenseurs de sa consœur Elisabeth Baume-Schneider, socialiste, dans sa course victorieuse au Conseil fédéral? «J’ai toujours dit que, si un ou une Jurassienne parvenait à la porte du Conseil fédéral, toute la classe politique jurassienne devait être à fond à son côté.»
Fils d’agriculteur aux études
Fin stratège, Charles Juillard a pu compter sur une solide formation classique: latin-grec au collège Saint-Charles de Porrentruy: «Je n’ai jamais assez remercié mes parents de m’avoir payé mes études. Parce que, contrairement à l’image qu’elle donnait parfois, c’était une école qui ouvrait l’esprit au niveau culturel et philosophique. Catholique, certes, mais pas d’endoctrinement. Elle avait une vision très ouverte de la société.» Agriculteurs, les parents de Charles Juillard ont pourtant poussé leurs quatre enfants, trois garçons et une fille, à étudier. «Assez logiquement, étant l’aîné, j’aurais toutefois dû reprendre la ferme.» Sauf que, Guy, le cadet de la famille n’avait pas goût aux études. C’est lui qui reprendra le domaine, désormais considérable, avec notamment un important élevage équestre très réputé (les Juillard-Pape).
Charles, lui, obtient une licence en droit. Il passe par la direction de la Police et celle d’une assurance sociale, avant de prendre la tête du Département des finances, de la justice et de la police de son canton.
Que de chemin parcouru depuis cette enfance «heureuse, mais laborieuse». Chez les Juillard, chacun y mettait du sien pour faire tourner ce domaine d’élevage bovin et chevalin sans oublier les cultures et le lait: «Nous n’avons jamais eu de vacances. Dès qu’on avait un congé, on était enrôlé à la ferme. J’y trouvais du plaisir.»
En pleurs
En 1982, un drame frappe la famille: la ferme part en fumée. L’occasion, certes, de rebâtir «plus beau qu’avant», comme dans la chanson Le vieux chalet de l’abbé Bovet. N’empêche, Charles, alors à l’école de recrue, a tout perdu: «Quand je suis revenu au village, les miens étaient en pleurs. Quant à moi, il ne me restait que ma caisse d’effets personnels à la caserne et mon certificat de maturité que j’avais envoyé à l’Université de Neuchâtel.»
Colonel, Charles Juillard affirme devoir beaucoup à l’armée: «J’étais dans l’infanterie, une véritable émanation de la société.» Au départ, le soldat n’avait pas du tout envie de faire l’école de sous-officier: «Je me souviens toujours, le quatrième dimanche soir, quand il a fallu quitter mon village de Damvant pour partir à Colombier, je ne voulais plus partir. Si mes parents m’avaient encouragé à rester à la maison, je n’y serais pas retourné. Ils se sont abstenus de dire quoi que ce soit.»
Père de trois enfants, Charles Juillard aime parler politique avec eux. Nicolas, l’aîné est officier de carrière. Marie Juillard, la seconde, se bat pour le déblocage du dossier européen, mais aussi pour le débat d’idées et une société civile donnant plus de place aux jeunes. Bastien, le benjamin qui termine ses études, paraît souvent sur «la même ligne philosophique et politique» que son père, sans cependant être membre d’un parti. Au-delà de sa propre famille, Charles Juillard se dit marqué par la figure de De Gaulle et celle de l’ancien conseiller fédéral Kurt Furgler, dont il salue la force de conviction et le sens de l’intérêt public. L’avancement de la Question jurassienne lui doit beaucoup: «Saint-Galloise comme lui, c’est récemment Karin Keller Sutter qui a accompagné le processus d’intégration de Moutier dans le canton du Jura.»
Nicolas Verdan