Anne Richard: «J’exerce ce métier grâce à ma mère»

La Suissesse Anne Richard (à gauche) incarne la juge Nadia Lintz dans Boulevard du palais depuis quinze saisons déjà. Un personnage qu’elle s’attache à faire évoluer et à nourrir de ses autres expériences, professionnelles et privées. © France 2
La quarantaine assumée et dynamique, Anne Richard poursuit sa brillante carrière d’actrice. De passage en Suisse, où elle donne des spectacles pour enfants de sa création, elle parle de son métier et de sa famille, avec passion.
Tenue sport chic et sac Lacoste, Anne Richard s’installe dans un grand fauteuil de la Brasserie du Montreux-Palace. Souriante, décontractée, elle s’excuse pour son quart d’heure vaudois. Ce qui frappe chez elle? Son regard, intense, et la vivacité des expressions de son visage. Intelligente, directe et pétillante de charme, elle est l’incarnation de la femme d’aujourd’hui. Côté vie privée, elle partage le quotidien de Fabien Lecœuvre, chroniqueur et attaché de presse. Le bonheur, quoi!
Vous prêtez votre voix à deux nouveaux livres-disques pour enfants, dont deux histoires sont de votre plume. Pourquoi cet intérêt pour l’enfance?
C’est le hasard qui m’a amenée à écrire. Tout a débuté grâce à Blaise Héritier, le chef d’orchestre de l'Ensemble de cuivres jurassien. Il a proposé, à mon frère Jean-Marc (NDLR: animateur à la RTS) et à moi, de venir raconter l’histoire de Pierre et le Loup lors d’un concert à Bulle. Il cherchait quelqu’un pour écrire un conte sur de la musique imposée. Mon frère lui a dit: «Ma sœur doit savoir faire ça!» Je lui ai dit: «T’es bien gentil, mais j’écris des scénarios, pas des contes!» Malgré tout, j’ai essayé et cela a été une réussite. De fil en aiguille, un double CD est sorti et mon éditeur, Didier Carpentier, a créé une collection de livres-disques.
Quel sera le thème de votre prochain conte?
J’écris actuellement un nouveau conte que je présenterai à Rolle le 24 mai, à l’occasion de mon spectacle. Je suis ambassadrice de Race for Water, une fondation qui lutte pour la préservation de l’eau. La seule chose que je sais faire, c’est écrire pour les enfants. Ce conte racontera donc les aventures d’un marin, confronté aux déchets qui polluent l’océan.
Que vous apportent ces spectacles?
D’abord, je m’amuse beaucoup. Cela me change de ce que je fais habituellement et, visiblement, cela amuse aussi beaucoup les enfants et c’est ça, l’important! Cela me fait beaucoup de bien, par rapport à mon personnage de Nadia Lintz dans Boulevard du palais, qui est plutôt sombre. Ce rôle ne m’occupe que quatre à cinq mois par année, ce qui est peu. Lorsque vous avez un rôle récurrent, vous recevez moins de propositions, alors que si je joue correctement, personne ne me voit comme Madame la Juge! Mais je suis contente, c’est en train de changer: j’ai fait un guest pour Camping Paradis sur TF1 et un autre pour Commissaire Magellan sur France 3.
Votre enfance, elle était comment?
Délicieuse. J’en ai des souvenirs magiques, sans problèmes, avec des parents aimants. Si j’exerce ce métier aujourd’hui, c’est grâce à ma mère, qui a un vrai talent d’écriture. Elle créait des saynètes pour Noël que l’on jouait avec mon frère. On a aussi monté lui et moi une petite troupe de théâtre. Mes parents, qui adoraient voyager, nous ont pris avec eux. J’ai eu cette chance… Et écrire pour les enfants, c’est prolonger l’enfance. Interpréter des rôles, aussi: comme un enfant, on s’imagine princesse ou juge!
Mais la série va se poursuivre?
Oui, je vais prochainement tourner la seizième saison. France 2 n’aime pas que l’on souligne la durée de cette série. Moi, je pense que sa longévité est le signe de la qualité du travail de toute l’équipe. Et si celle-ci continue, c’est grâce au public.
Vous pensez qu’on ne lit plus assez d’histoires aux enfants?
Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est qu’un livre-disque peut se substituer à l’occasion aux mamans qui sont débordées et qu’elles peuvent ensuite le lire à leur enfant à leur manière.
Et votre maman, elle vous lisait des histoires?
Oui. A l’âge de 4 ans, me rappelle-t-elle, je lui réclamais toujours l’histoire de la vie sexuelle des papillons. Je ne sais pas ce qui m’attirait dans ce livre! Elle m’avait aussi écrit une adaptation de La Petite Fille aux allumettes que j’avais jouée à l’école. Je pense que tout ça a contribué à construire ma vocation, bien que mes parents n’appartiennent pas au milieu artistique. Mon père était directeur d’une grande assurance et ma mère faisait beaucoup de bénévolat, en plus de notre éducation.
Justement, quelle éducation avez-vous reçue?
Une éducation suisse, protestante et calviniste sans être religieuse. Qui apprend à respecter l’autre, qui a des règles, une certaine morale et la conscience du travail. Ado, on me disait: ne rentre pas tard, mais cela signifie quoi, pas tard? Du coup, je réclamais une heure de rentrée précise. J’aime les limites, être cadrée, aussi au travail. Je pense qu’elles nous aident à nous structurer. Je n’ai pas eu d’enfant, mais j’aurais été une maman comme ça. C’est d’ailleurs une difficulté que j’ai en France, où il y a une espèce de flou général. En face d’où j’habite, à Paris, je vois des sacs en plastique accrochés aux branches des arbres. J’en pleurerais presque, cela me désole. Le respect, de la nature en l’occurrence, fait aussi partie intégrante de l’éducation.
On imagine volontiers que vos parents sont fiers de vous…
Oui. C’est chouette! Je suis heureuse de les rendre heureux. Ils ont toujours été avec moi dans ma carrière. Mon frère avait déjà ouvert la porte, en leur disant qu’il voulait devenir animateur de radio. Alors, quand j’ai annoncé que je voulais être actrice, ils ont compris que c’était possible. Ils m’ont fait confiance: je suis partie à Paris à 19 ans! De mon côté, il y avait une grande naïveté et je crois que cela fait partie de ma réussite. Je ne connaissais pas le terrain, donc je n’avais pas de craintes.
Vous étiez proche de votre grand-maman, non?
Oui. J’avais un lien affectif très fort et je pense souvent à elle. Je me dis: tiens, elle aurait aimé ça. Je crois assez aux anges protecteurs et ma grand-mère doit en être un pour moi.
Vous vivez à Paris. La Suisse vous manque-t-elle parfois?
Oui. En venant ici, je regardais le paysage en me disant: comme c’est beau. Mais j’y reviens souvent. J’en ai besoin. Je pensais pouvoir me baigner dans le Léman, je me suis acheté une combinaison, mais je pense qu’il faut encore attendre un peu que la température se réchauffe! Je trouve que la Suisse va mieux que la France. Il y a ici une énergie positive qui se dégage et qui n’existe plus du tout en France. Je pense que c’est lié à la crise, il y a une insatisfaction générale.
Y avez-vous toujours des amis?
Oui, j’en ai beaucoup! J’ai notamment une amie du gymnase et une autre, rencontrée lors de mes études d’art dramatique.
Vous fêterez vos 46 ans au mois d’octobre. Vieillir, est-ce plus difficile lorsqu’on exerce un métier tel que le vôtre?
On a plus conscience du temps qui passe, on se voit davantage vieillir! Quand vous regardez une redif de Boulevard du palais, je me dis: ah, oui, quand même! Mais j’ai la chance de faire un métier où l’on peut vieillir. Nadia Lintz, mon personnage dans cette série vieillit avec moi, c’est ce qui est intéressant pour un acteur. Bien évidemment, le chef opérateur doit faire un peu plus attention, mais c’est son boulot! Cela dit, je surveille ce que je mange, je fais du sport. Etre actrice, c’est très physique, comme pour le tournage de Piège de glace, que j’ai tourné fin 2013 à Chamonix et qui sera bientôt diffusé. Lorsque c’est la dixième prise et que vous êtes dans la neige jusqu’au cou, il faut tenir! Louis Jouvet disait d’ailleurs que la plus grande qualité d’un acteur, c’est d’être en bonne santé.
Est-ce que vieillir vous fait peur?
Cela ne me fait pas souffrir. Je n’ai pas envie de vieillir, comme tout le monde, mais je n’ai pas non plus envie de lutter contre. L’idée de faire des travaux sur mon visage me terrorise, surtout lorsque je vois le résultat sur d’autres actrices. Leur visage est moins expressif. Il me semble qu’on ne les écoute plus, qu’on les regarde uniquement.
Vous avez joué avec Sami Frey dans Le nez dans le ruisseau. Etait-ce intimidant?
Bien sûr que j’étais impressionnée, d’autant plus qu’il était parfait du premier coup, malgré un texte un peu chargé. Et il fait ça avec une aisance et un professionnalisme incroyables! Notre rencontre s’est faite avec la plus grande simplicité, quoique rencontre est un bien grand mot: c’est quelqu’un d’extrêmement sauvage et réservé. Pourtant, j’ai l’habitude, on ne peut pas dire que Jean-François Balmer (NDLR: le commissaire Rovère dans «Boulevard du palais») soit extraverti! Sami est tout en délicatesse, mais il ne se livre pas. Cela dit, ce film sur Rousseau a changé ma vie. Je prends plus de temps pour profiter de la nature, partager des moments avec la famille.
Vous êtes ambassadrice d’une grande banque cantonale. Dans la vie, vous êtes plutôt cigale ou fourmi?
Plutôt fourmi. J’ai toujours eu conscience que mon métier est fragile. J’ai vu des amis cigales ne plus pouvoir payer leurs impôts et se retrouver en grandes difficultés financières à la fin de leur carrière.
Dans vingt ans, vous vous imaginez où et avec qui?
Houla! Je m’imagine être sur scène, en train de jouer une grand-mère. Continuer à faire ce que je sais faire: divertir les gens et leur apporter de petits instants de bonheur.
Propos recueillis par Sandrine Fattebert Karrab
• Livres-disques L’écureuil et le haut chêne + Les trois petits cochons; Le petit pois et la baleine + Pierre et le loup; 23 fr. 10 l’unité
• Spectacle pour enfants, Casino Théâtre, Rolle, le 24 mai à 14 h 30 et 16 h 30