«Caravane FM» en famille
Jean-François Michelet en famille (à g.) et le clan de Lionel Frésard hors antenne et en toute intimité. © Sandra Culand
Les deux animateurs de Caravane FM ont reçu générations dans leurs fiefs jurassien et valaisan, entourés des leurs, pour des échanges aussi touchants que dans leur émission. Et oui, ils sont pareils dans la vie qu’à l’écran.
Le petit et le grand, le fou et le sage, Lionel Frésard et Jean-François Michelet aiment se définir par leurs différences qui finissent par les rendre si complémentaires. Mais ces deux comédiens et animateurs ont tellement de points communs que leur complicité est une évidence. Connus principalement pour leur émouvante émission Caravane FM diffusée sur la RTS, à l’affiche de laquelle ils parquent leur caravane dans une communauté (une piscine municipale, une institution, un port) et animent une radio locale pendant deux jours, avant d’en diffuser les meilleurs extraits à la télévision.
Une émission qui les a encouragés à créer le spectacle Caravane en chœur, qui est bien plus qu’une excuse pour pouvoir chanter sur scène, ce qu’ils affectionnent tant. Une création touchante et intimiste qui va recommencer à tourner partout en Suisse romande.
>> Le programme de leur tournée et leur visite à générations
Doux et à l’écoute, émouvants et émus, disponibles et généreux, Lionel Frésard et Jean-François Michelet ont accepté d’accueillir générations pour deux reportages intimistes. Deux expériences parallèles dans deux coins de Suisse romande, l’une dans une clairière jurassienne avec un risotto et des saucisses grillées au feu de bois, l’autre dans un chalet valaisan autour de l’incontournable raclette. Un peu comme si c’était nous qui avions posé notre caravane chez eux et que l’on accueillait leurs proches devant le micro.
Avec humour, pudeur et bonheur, les familles des deux animateurs romands, sans doute les plus appréciés du public, ont partagé leur regard et leurs anecdotes au sujet de ce fils, ce mari, ce frère, ce papa. Cap donc sur Montfaucon et Nendaz.
Thérèse Courvoisier
Lionel Frésard chef de meute d’un jour, clown toujours
Les Frésard presque au grand complet, ça en fait du monde réuni autour du feu pour des grillades et surtout pour
se retrouver en la mémoire de Gaby, la maman de Lionel et de ses sœurs, disparue il y a une année. © Sandra Culand
La clairière qui se situe à un jet de pierre de la mignonne gare de Pré-Petitjean semble sortie d’un livre de contes. Sous les arbres paissent en toute liberté des chevaux petits ou grands, clairs ou foncés. Curieux, ils s’approchent pour voir s’il n’y aurait pas une chips ou un quignon de pain qui traîne et repartent doucement retrouver une ombre bienvenue.
Et, ce jour-là, il y avait même un lion debout devant un arbre! Enfin, LE lion. Car c’est ainsi qu’on surnomme Lionel Frésard dans son fief «seulement à cause des lettres de son prénom, aucun rapport avec son caractère», nous assure-t-on. Le lion s’approche en souriant, les bras grands ouverts. «J’ai habité Montfaucon quand j’étais gamin. Hier soir, on s’est retrouvés avec toute une bande de copains pour fêter nos 50 ans», explique-t-il avec enthousiasme.
D’ordinaire, ce n’est qu’à Noël que la famille Frésard se retrouve. Mais cette journée est spéciale, dédiée à Gaby. Gaby, c’est Gabriella, ou «nonna», comme l’appelle Zoé, 13 ans, la fille aînée de Lionel. C’est la maman, la grand-maman, décédée une année auparavant et qui n’aimait rien tant que «griller des trucs dans la forêt». Lionel et ses quatre sœurs ont donc décidé que des retrouvailles dans cette clairière seraient plus appropriées que n’importe quelle cérémonie religieuse. «C’est vraiment super d’être tous ensemble: c’est rare, souligne Muriel la sœur aînée, la seule à être restée dans les Franches-Montagnes. On a tous nos vies et il nous est arrivé de fêter Noël à… Pâques tellement on repoussait la date! A la mort de notre père, Lionel a vraiment tenu la famille ensemble. Aujourd’hui, c’est super quand on se voit, puis c’est silence radio. C’est dommage!» Et c’est justement aussi pour cela que Lionel écarquille les yeux comme pour photographier le moment dans sa mémoire. Pas facile de répondre aux attentes de toutes et tous. Et une fois n’est pas coutume, même s’il ne peut pas s’empêcher de faire l’idiot de temps en temps, il fera très attention, ce jour-là, à ne pas prendre toute la lumière.
Sous le soleil qui inonde la clairière, les cinq membres de la fratrie posent serrés pour la photo. Tous s’apprécient, tous sont extravertis et drôles, mais chacun a dû lutter pour trouver sa place. Car la vie n’a pas toujours été facile pour les Frésard. «On est nombreux, on a chacun notre caractère, mais on fait attention les uns aux autres, explique Eléonore, venue de Versoix avec sa fille Alexa. Lionel, lui, n’a pas eu le choix: il a dû endosser le rôle de l’homme de la famille à 22 ans. Et, malgré cette responsabilité, c’est toujours lui qui met l’ambiance, qui fait le clown.» La cadette rebelle, Coraline, surenchérit en disant qu’elle est fière qu’il ait exploré à fond ce don pour la comédie.
Le sifflement de la tribu
Comme pour illustrer son propos, leur frangin crie: «On a la viande!», alors que deux vaches se sont avancées là-même où le feu brûlera dans quelques heures. Avant de regarder sa montre et de constater l’arrivée imminente de sa femme et leurs trois enfants. «Attendez, on va voir s’ils sont encore loin!», dit-il avant de lâcher un sifflement strident. Comme des marmottes, les siens répondent et il bombe le torse. Tout au long de la journée, il fera le chef scout, préparant le risotto cuit au feu de bois, éloignant les bêtes trop curieuses, veillant au bonheur de tous.
«Papa, il est comme ça: content quand il rend les gens contents, sourit sa fille aînée Zoé, occupée avec sa cousine à marquer les noms des convives sur des gobelets. J’arrive à le partager avec les autres, parce qu’on a nos moments à nous, aussi, où je peux me confier à lui. Et aussi lui dire quand ses blagues sont vraiment trop nulles. Le fait qu’elles tombent à plat nous fait rire encore plus fort!» Sa blondinette petite sœur Ninon (9 ans) vient ajouter son grain de sel. «C’est trop cool, ce moment tous ensemble. Vous voulez savoir ce que je veux lui dire? Ben… que je l’aime, mais, ça, je le lui dis aussi en vrai.»
L’air de rien, Lionel s’est rapproché, fait semblant de trier le verre vide, mais tend l’oreille. C’est qu’il peut être fier de la relation qu’il entretient avec ses trois enfants. «Ils sont super, non?», sourit ce papa poule, en faisant attention de ne pas prendre trop de place à ce moment-là, à laisser ses petits s’exprimer. Tous s’entendent pour dire qu’il sait aussi parfois être sérieux, à l’écoute.
Félix (16 ans) n’a rien d’un ado blasé. «On a le foot en commun. On joue, on le regarde. Et, parfois, on se fait des sorties juste tous les deux. J’ai de la chance, car beaucoup de mes potes n’ont aucun lien avec leur père, c’est triste. Et le mien a perdu le sien très tôt… Attention, on s’engueule aussi avec papa, il n’est pas drôle tout le temps.»
Reconnaissance
L’autre clown — officiel — de la famille, c’est Aurore, qui travaille au sein de l’association Théodora. Allergique aux chevaux, elle galère quand le grand hongre noir tente de poser doucement sa tête sur son épaule pour qu’elle l’aide à chasser les mouches. «J’ai un lien particulier avec Lionel, plus qu’avec les autres. Tout le monde parle de Caravane FM et de Caravane en chœur, mais, moi, c’est surtout son deuxième Seul en scène qui m’a bluffée. Il est vraiment très doué. Bon, moi aussi, j’ai fait des trucs cools, sans avoir du tout de reconnaissance.»
On retrouve ce mot, «reconnaissance», en écho dans les propos de l’épouse de Lionel Frésard, Claire-Do. «C’est vrai que, parfois, gérer tout l’amour et la reconnaissance que les gens ont pour Lionel n’est pas évident. Je suis très heureuse pour lui, mais il vient sur mon territoire, puisque je suis pédiatre. C’est aussi mon domaine, l’écoute. Mon travail, c’est 90% de psychologie et 10% de médecine. Je dois aussi faire face à des situations compliquées et, pourtant, jamais on ne m’arrête dans la rue pour me dire que je suis formidable!» (Rires.)
L’énergique jeune femme évoque les retours de tournage où Lionel a énormément besoin de partager, mais aussi ses absences où c’est elle qui s’occupe de tout. Elle saura conclure avec un mot très personnel, mais avec un sentiment partagé. «J’ai la chance d’être sa nana pas parce qu’il fait Caravane, mais parce que c’est un mec incroyable!»
Jean-François Michelet, un parcours bosselé comme à la montagne
Toujours le plus grand, «D'jean» Michelet semble veiller sur les siens: sa sœur Véro avec Antonin sur ses genoux,
sa femme Karina et Isey dans ses bras, Emilia, Marie-Thérèse et finalement Cédric son beau-frère. © Sandra Culand
Il faut grimper et grimper encore pour trouver le petit coin de paradis de Jean-François Michelet. Les routes laissent la place aux chemins et il n’y a, finalement, que la vaillante Panda maternelle qui sache dompter les derniers mètres pour arriver au chalet familial. Serviable, «Jean» ou «D’jean» nous sert de chauffeur et on quitte le véhicule adoré de sa maman, Marie-Thérèse, pour un univers peuplé de fleurs sauvages aux allures romantiques qui décorent les lieux avec douceur jusque dans un vase au centre de la table dressée sur le balcon. Ici, à Nendaz, tout est en pente, alors on grimpe encore jusqu’à la fourmilière pour une vue plus dégagée ou jusqu’aux chaises longues où se prélassent Emilia et Antonin, les deux enfants de Véro, la petite sœur de Jean-François et de son mari Cédric. Ses deux filles, Ella et Lina, ainsi que sa grande sœur Nicole n’ont pas pu être présentes ce jour-là, dans ce refuge où il fait bon se retrouver.
En vacances près de la maison
L’hiver, la télécabine passe juste au-dessus du chalet construit en famille pour «se retrouver en vacances à seulement dix minutes de la maison». La terrasse est fraîche et c’est là que nous attend Marie-Thérèse, tiraillée entre son sens de l’accueil naturel et une certaine timidité empreinte de modestie. Son fils passe son long bras autour de ses épaules pour la rassurer. Avec lui, les gestes valent mille paroles.
On la suit à l’intérieur et, quand on remarque des exemplaires de générations posés sur la table basse, elle sourit, une étincelle malicieuse dans le regard. Elle nous présente «Rio», son mari Henri emporté par un cancer en 2004, à travers une photo, mais aussi à travers chaque pièce du chalet, qu’il a bichonné de ses mains. Ce papa ingénieur qui avait insisté pour que son fils décroche un diplôme avant de suivre une voie artistique. «J’ai été jusqu’à la maturité professionnelle, mais ils ont voulu que j’aille plus loin, détaille Jean-François. Ils m’avaient donc menti. J’ai décroché un stage à l’UBS — j’adore les chiffres — et je suis parti. Jusqu’à ce que la banque décide de me placer à… Haute-Nendaz! Papa a senti que je n’étais pas heureux dans ce monde bancaire et m’a laissé arrêter… »
Framboises et endorphines
Assis très près l’un de l’autre, Marie-Thérèse et son fils se remémorent ces étés où la famille ne s’octroyait que peu de vacances, car il fallait «aller aux framboises», avant d’enchaîner avec les vignes. «Le vrai bonheur, c’est quand on pouvait partir marcher avec papa et maman», explique Jean-François avec douceur. Sa maman, soudain moins timide, l’interrompt en rigolant. «Je te disais: "Tu verras, dans un moment, on va secréter des endorphines et ça ira tout seul!"» «Toi et tes endorphines! Je me souviens surtout d’avoir découvert plein de muscles dont j’ignorais l’existence!»
Ces moments de complicité à la force du mollet sont en fait une sacrée revanche sur le destin. Né avec deux pieds bots, Jean-François a en effet passé une grande partie de son enfance sur des lits d’hôpitaux ou dans une chaise roulante. «Heureusement, je suis infirmière en pédiatrie, alors il pouvait rentrer plus vite à la maison. Il a eu beaucoup plus d’attention que ses sœurs et, à chaque retour d’opération, il recevait plein de cadeaux!»
«Je n’ai pas du tout souffert de cette différence, nous dira plus tard Véro, qui a exactement les mêmes grands yeux bleus que son grand frère. Il était déjà séducteur et jouait avec nous et nos copines, entre les bisses. On fonctionnait très bien comme ça et, aujourd’hui, je suis contente de tout ce qui lui arrive. Il est aligné, bien dans ses souliers!»
Mieux, il est même devenu un grand sportif. «Oui, moi, c’est comme ça que je l’ai découvert, renchérit Cédric. On ne se rend absolument pas compte de son handicap, qu’il a besoin de chaussures spéciales pour le ski, la rando, le vélo. Même les pantoufles!»
Un amour comme une évidence
C’est l’heure de l’apéro et Cédric se charge de remplir les verres de fendant. Jean-François hésite entre trinquer et accompagner son épouse Karina auprès de leur fils Isey, 2 ans, légèrement fiévreux. Il finira par faire les deux.
Le duo en parle dans le très réussi spectacle Caravane en chœur: Karina et Jean-François se sont rencontrés sur le tournage d’un épisode de Caravane FM. «C’était en 2017, je travaillais à la Cité du Genévrier à Saint-Légier, raconte-t-elle avec un plaisir évident. Je savais qu’il y avait un tournage, les résidents étaient tout fous. J’étais restée en retrait quand une amie camerawoman m’avait dit: «Un des deux va te plaire, il est assez joli.» J’étais dans une période de ma vie où je doutais de tout, mais je me suis quand même approchée. Nos regards se sont croisés et je me suis dit: «Tiens, c’est pas comme d’habitude.» Observatrice, elle remarque sa jambe plus courte que l’autre. Au lieu de s’en méfier, elle y voit un signe positif de force.
On a l’impression d’entendre des violons accompagner son récit si romantique. Comme une confession dans la cuisine sombre, alors que son homme se promène un peu perdu à l’extérieur, pour respecter la liberté d’expression de celle qu’il aime. Après quelques ratés, Karina et Jean-François se revoient. Elle le savait séparé et déjà papa. «C’était comme si la vie me faisait une bande-annonce de ce qui allait suivre.» Et malgré tous leurs a priori, ils se marient dans l’année et, au détour d’une visite dans une boutique islandaise, ils savent sans avoir échangé autre chose qu’un regard que leur futur enfant s’appellerait Isey, comme ce magasin de laines magnifiques.
«C’est vrai que nous sommes heureux, même si nous devons parfois aller en week-end en Suisse alémanique ou au Tessin pour être tranquilles au resto. Et même si, parfois, je dois demander à Jean-François d’arrêter d’être «Monsieur Caravane» à la maison. J’ai besoin qu’il s’exprime aussi, qu’il existe!» Et là, c’est le cas, son D’Jean a trouvé un rôle central en raclant la meule de fromage. Mais rien ne semble lui faire plus plaisir que de déposer les assiettes devant ceux qu’il aime. Sans un mot… mais avec un sourire d’une douceur unique.
Thérèse Courvoisier