PORTE PLUME "Tu as pris ton courage à deux mains"

Philippe Jeanneret ©DR
OPERATION PORTE PLUME Philippe Jeanneret, Monsieur Météo de la RTS, rend hommage aux proches-aidants. Emouvant et essentiel
L'opération spéciale Porte Plume se poursuit. Pour rester solidaire et unis, générations vous invite à écrire à vos enfants, petits-enfants et à vos proches. Vos lettres seront publiées sur notre site et dans le magazine en signe de soutien et de solidarité, dans cette période particulière de pandémie. Merci à tous ceux et toutes celles qui nous écrivent!
Lettre à une proche-aidante
Tout a basculé pendant le mois de mars. Du jour au lendemain, le centre d’accueil de jour a cessé ses activités, plus de livraison de repas, les aides à domicile ne sont plus venues à la maison. Le risque de contamination était trop grand, tu as dû te débrouiller toute seule.
Tu as pris ton courage à deux mains pour expliquer à François qui souffre de la maladie d’Alzheimer qu’il n’y aurait pas de centre de jour pendant quelques temps, que c’est toi qui ferais sa toilette le matin, qui lui préparerais ses repas.
Tu l’as fixé droit dans les yeux pour lui dire que pendant que tu ferais les courses, il devrait rester assis dans le salon, qu’il ne fallait plus tenter d’allumer la plaque de la cuisinière - il s’était déjà brûlé deux fois - et surtout qu’il faudrait faire attention pendant les promenades, ne pas s’approcher des gens, ne pas les toucher. Il t’a regardé avec un léger sourire sur les lèvres. Il n’a pas vraiment compris. Avec ce genre de maladie, c’est compliqué.
Le monde a tourné au ralenti derrière la porte de l’appartement, les cris des enfants de l’école primaire ont disparu, la boutique du coiffeur a fermé. Mais tu as assuré de belle manière : la toilette du matin, l’habillage, les repas, le ménage et tout le reste.
Tu n’as pas été la seule à ramer. Des amis à toi ont un fils en situation de handicap fréquente, le centre d’accueil de jour ne pouvait plus s’en occuper. Il est resté à la maison, il y a eu des tensions...
Ces moments ont été d’autant plus difficiles qu’on n’a pas beaucoup parlé des proches-aidants au Téléjournal ou sur le Net. Il y avait parfois la petite phrase « Prenez soin de vous, prenez soin de vos proches » mais cela ne permettait pas de comprendre ce qu’ils vivaient.
Alors, c’est avec un pincement au cœur que tu allais chaque soir sur ton balcon le soir vers 21 heure, pour applaudir le personnel soignant des hôpitaux. Lorsque le bruit montait dans la rue, que la vague de chaleur humaine gagnait les maisons les unes après les autres, tu te disais que ces applaudissements, tu les méritais aussi. Tu avais raison…
Heureusement, les services sociaux se sont réorganisés au fil des jours. Ils ont téléphoné régulièrement pour prendre des nouvelles. Depuis la fin mars, l’un de tes voisins t’a aidé à faire tes courses - c’était un bénévole de la commune -, cela t’a fait du bien.
Au fil des semaines, les nouvelles ont été plus optimistes à la télévision : le nombre de cas a diminué, les décès ont été moins nombreux, le déconfinement a commencé...
On n’a pas stoppé pour autant les rotatives, ni laissé défiler les majorettes. Pour toi les choses ne reviendront à la normale que de manière très progressive. La route est longue…
Ces situations sont difficiles à vivre – l’isolement est une vraie souffrance, on n’en sort jamais indemne. Une fois que tout cela sera terminé, n’oublie pas de prendre le temps de « digérer », de te faire aider si nécessaire, en contactant « Espace Proches » ou une association de proches-aidants. Même si tu es capable de relativiser le mauvais côté des choses et de tirer des leçons.
Nous sommes dans une société fragile. Mais parce qu’il y a des gens comme toi, qui continuent de s’occuper des autres, envers et contre tout, le monde continue de tourner…
Je t’embrasse
Philippe
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