OPERATION PORTE PLUME, la lettre de Patricia

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L'opération spéciale Porte Plume est lancée. Pour rester solidaire et unis, générations vous invite à écrire à vos enfants, petits-enfants et à vos proches. Vos lettres seront publiées sur notre site et dans le magazine en signe de soutien et de solidarité, dans cette période particulière de pandémie. Merci à tous ceux et toutes celles qui nous écrivent!


 

Mauraz, le 13 mai 2020

 

 

Lettre à mes filleuls,

Vous avez désormais entre 11 et 26 ans, vous êtes nombreux – j’ai de la chance ! – et vous avez dans mon cœur la place des enfants que je n’aurai jamais.

C’est à vous que je pense le plus souvent en cette période troublée et troublante, à vous qui devez vivre en ajoutant à votre vocabulaire de nouveaux mots que moi, je découvre au milieu de la cinquantaine : « confinement », « gestes barrières », « distance sociale », « personnes à risques », « Covid19 ». Les mots sont importants : au-delà du message qu’ils transmettent, ils reflètent également l’état du monde dans lequel ils apparaissent.

Alors, à l’heure du « déconfinement », parlons-en de l’état du monde… Je me demande comment ces nouveaux mots et les comportements qu’ils induisent marqueront vos vies et celles de vos contemporains ? Si la peur et l’angoisse qu’ils transpirent resteront durablement une donnée de votre rapport à l’Autre ?

L’Etat du Monde est la grande affaire de ma vie : je n’en n’ai jamais supporté l’injustice et, dès mon plus jeune âge, je me suis engagée en poursuivant le rêve d’agir pour que gagne la solidarité, fût-ce millimètre par millimètre.

Avec la fougue de la jeunesse, ce sont les manifs qui nous poussaient dans la rue pour changer le monde, et, soit dit en passant, nous avons bel et bien réussi à bousculer un système d’Apartheid qui focalisait si bien, à cette époque, l’injustice et la folie des humains.

Après mes études, c’est en partant « sur le terrain », en Asie et en Afrique, que j’ai découvert à la fois l’insoutenable dénuement du plus grand nombre et des histoires de vie confondantes de courage. Mes ex-collègues et ami-e-s, indiens, nigériens, tchadiens et sénégalais devinrent mes héros oeuvrant avec les plus pauvres, en toute modestie dans l’anonymat des « missions » que l’on porte sans avoir à réfléchir et qui, en effet, rendent le monde un peu meilleur !

Après 20 ans de solidarité internationale, c’est une révolte plus locale qui m’a assaillie lors du vieillissement et de la disparition - relativement précoce – de mes parents : je (re) découvrais la manière dont notre société occidentale traitait ses vieux…

C’est avec beaucoup de cohérence, dois-je dire avec le recul, que mon besoin de justice et de solidarité s’est porté alors sur cette question du rôle des aînés ici. De la coopération internationale à la solidarité intergénérationnelle, les similitudes n’ont jamais été aussi patentes : essayez de remplacer « 65+ » par « rouge », « vert » ou « noir » dans les discours ambiants et vous serez surpris ! Les mots, toujours.

Mes chers filleuls, si je ne doute pas que les plus âgés d’entre vous saurez conserver une distance critique bienvenue pour traverser la période actuelle en refusant le concept de « nouvelle normalité » (quelle horreur !), qu’en sera-t-il pour le plus jeune ? Devra-t-il toute sa vie se tenir à 2 mètres de ses potes ? Porter un masque ? se laver les mains toute les 5 minutes ? Ne plus passer des vacances chez sa vieille tata ?

C’est cette crainte qui habite mes mauvaises nuits et vient s’ajouter aux souvenirs de tous les enfants que j’ai vu mourir de faim et de malaria, entre autres fléaux silencieux si nombreux de l’autre côté de notre monde.

Je vous embrasse et vous serre bien fort… Avec des mots !

 

Patricia Dubois

Secrétaire générale de Connaissance 3
L’Université des seniors vaudoise

 

 

COMMENT NOUS ÉCRIRE? 

  • Par écrit, à: Magazine générations, rue des Fontailles 16, 1007 Lausanne
  • En mail: contact@generations-plus.ch (objet: ma lettre)

 

 

 

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