Quarante ans de robots!

Raymond Clavel et son robot Delta (à g.), et l'un de ses derniers étudiants Raphël Zufferey tenant la griffe de son Ornithoptère.

En 1985, Reymond Clavel invente Delta, un robot qui marque son temps. L’un de ses derniers étudiants à l’EPFL, Raphael Zufferey, lance, en 2022, un robot ailé qui se pose comme un oiseau. Des années les séparent. Rencontre.

C’est une première mondiale: des scientifiques de l’Université de Séville et de l’EPFL viennent de mettre au point l’Ornithoptère, un robot ailé capable de se poser sur une branche. Ce volatile en carbone est susceptible d’accomplir des tâches utiles. Oui, parce que, lorsqu’on parle de «robot», pas question de se tourner les pouces. Dérivé du mot tchèque robota signifiant travail ou même corvée, le mot fait une première apparition dans une pièce de théâtre en 1920 pour désigner des machines destinées à remplacer les humains dans des tâches pénibles. C’est aussi l’objectif initial du robot Delta, inventé en 1985 par le professeur Reymond Clavel, du Laboratoire des systèmes robotiques de l’Ecole polythechnique fédérale de Lausanne (EPFL): remplir des boîtes de pralinés. 

En quarante ans, la robotique a évolué. Entre l’Ornithoptère du post-doctorant Raphael Zufferey et le Delta du professeur Clavel se glissent quarante ans de progrès dans les systèmes électromécaniques et l’intelligence artificielle. Toujours plus autonomes, les robots d’aujourd’hui n’en restent pas moins des créatures nées dans l’esprit génial de leurs inventeurs.

Nicolas Verdan

De la chocolaterie à la chirurgie et l’horlogerie

1980: Delta. Reymond Clavel, 72 ans, roboticien. Un robot industriel de hautes performances dans le prélèvement et l’emballage.

A l’automne 1984, une célèbre fabrique de chocolat ouvre ses portes au public. Parmi les visiteurs se trouve un assistant de l’Institut de systèmes robotiques de l’EPFL. Frappé par la condition ouvrière, il raconte son expérience au professeur Reymond Clavel: «Au vu de notre activité dans la robotique, pourquoi ne développerions-nous pas une machine qui puisse effectuer ce travail monotone, répétitif et éreintant?» Les chercheurs du laboratoire de Reymond Clavel se creusent les méninges. «Nous avons tout d’abord travaillé sur des moteurs hydrauliques, pour disposer de plus de puissance, mais il y avait des soucis d’étanchéité et de coût. Vu qu’un chocolat ne pèse que 10 grammes, pourquoi ne pas opter pour des robots avec des bras très légers?»

Moins d’un an plus tard, une première version du robot Delta voit le jour. Avec ses trois bras articulés en aluminium et en fibres de carbone, Delta peut bosser à l’usine jusqu’à point d’heure. Un brevet est aussitôt déposé. «J’ai sorti 6000 francs de ma propre poche pour ce faire, ce qui serait impensable de nos jours.» Pas moins de quatre thèses, dont celle du professeur Clavel, quinze diplômes et plus de trente projets de semestre ont été nécessaires avant qu’il puisse atteindre ses performances maximales. Un quart de siècle plus tard, il deviendra la norme de l’emballage industriel et sera vendu par de nombreuses entreprises industrielles, dont ABB, Bosch, Demaurex, Fanuc.

En 2011, plus de 140 robots Delta étaient exposés sur 70 stands à la Foire triennale Interpack à Düsseldorf. A l’heure actuelle, on peut estimer que plus de 100'000 robots Delta sont installés dans le monde.

Durant ses 32 ans de service à l’EPFL, le «gourou de la robotique parallèle» a vu les applications toujours plus nombreuses, et plus fines, de son robot ultrarapide: horlogerie, télé-chirurgie ou usinage de matériaux. Mais comment le professeur Clavel envisage-t-il le futur de la robotique? «Le Delta est devenu un standard. S’il n’avait pas existé, les travaux de Monsieur Zufferey auraient peut-être été différents. Il n’y a toutefois pas de filiation directe, si ce n’est dans l’idée même de faire des robots à haute dynamique.» Et de souligner la part primordiale de l’informatique dans la robotique actuelle: «Il y aura toujours besoin de robots pour mettre des chocolats en boîte ou souder des pièces de voiture. Mais leurs capteurs leur donneront toujours plus d’autonomie, grâce à l’intelligence artificielle. Elle appuie déjà la robotique. Elle sera importante dans le domaine de l’aide aux personnes.»

Un robot ailé totalement perché


L'Ornithoptère, ce sont deux ailes battant 5 fois/seconde, 700 grammes à peine et une envergure de 1,5 m. © EPFL

Les robots volants ne datent pas d’hier: «Léonard de Vinci avec ses plans de machines volantes copiant le vol des oiseaux, rappelle Raphael Zufferey, chercheur postdoctoral au Laboratoire des systèmes intelligents et au Laboratoire de biorobotique de l’EPFL. Au XIXe siècle, des inventeurs français, entre autres, font voler des ornithoptères à propulsion élastique ou à vapeur.» Raphael Zufferey a pourtant de quoi s’enorgueillir de sa propre invention: un robot ailé capable d’agripper une branche en 25 millisecondes.

Facile? Pour un oiseau, certes: «Sachant qu’il a eu quelques millions d’années d’évolution pour se perfectionner.» Reproduire ce mouvement de façon artificielle, c’est bien plus complexe: «Jusqu’ici, aucun robot ailé n’était parvenu à se percher.» Les problèmes d’ingénierie n’ont pas été faciles à résoudre: «L’Ornithoptère doit être capable de ralentir considérablement pour se poser tout en maintenant son vol.» Avec son équipe de l’Université de Séville, Raphael Zufferey a mis au point une serre suffisamment solide pour s’accrocher au perchoir et supporter le poids du robot, sans être trop lourde. Equipé d’un ordinateur et d’un système de navigation embarqués, complétés par un système externe de capture de mouvements, l’Ornithoptère reproduit certains principes de la nature. «La fonction aérodynamique d’un véritable oiseau, capable, par exemple, de franchir un océan, est cependant bien supérieure à nos capacités actuelles.»

Copier la nature, mais pourquoi donc? «L’Ornithoptère pourrait collecter des échantillons biologiques sans effrayer la faune alentour, analyser la surface d’une branche au microscope, effectuer divers travaux en altitude.» Aujourd’hui, le chercheur voit plus loin: il aimerait associer la robotique bio-inspirée volante et aquatique, un domaine qu’il explore avec des spécialistes canadiens des oiseaux aquatiques.»

Le futur? «Les robots industriels sont partout, comme le montre Delta. Mais on va arriver à des robots disposant de toujours plus d’autonomie. Les robots chiens, automobiles, et drones bien sûr, auront une meilleure perception de leur environnement.»

 

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