Etre senior c'est aussi 
s’occuper de ses vieux parents

photo: © Shutterstock/Lisa F. Young

A l’heure où certains voient avec bonheur l’âge de la retraite arriver,vient, pour d’autres, le moment de s’occuper de leurs parents, très âgés et souvent diminués.

Vieillir chez soi le plus longtemps possible, dans ses meubles, entouré de ses souvenirs, c’est le souhait de la plupart d’entre nous. Les enquêtes réalisées en 2015 par Pro Senectute le confirment: 90 % des Suisses âgés de plus de 65 ans vivent toujours chez eux, et cette proportion est encore de 57 % chez les plus de 85 ans. Autant dire que de plus en plus de seniors sont amenés à s’occuper de leurs parents.

 

Des chiffres qui n’étonnent pas le psychologue lausannois Kaj Noschis. Dans l’étude qu’il vient de mener Habiter avec son âge, (en collaboration notamment avec l’Université des seniors du canton de Vaud), les participants sont catégoriques: ils veulent vivre chez eux et se débrouiller seuls le plus longtemps possible. «J’ai été surpris par la clarté de la réponse de ces seniors: leur domicile est la condition de leur autonomie. Il fait partie de leur identité même », note Kaj Noschis.

On l’a dit, vivre chez soi, surtout lorsque sa santé devient précaire, n’est souvent possible que grâce aux prestations offertes dans le domaine de l’aide à domicile et, surtout, du soutien des proches. Et qui dit proches dit enfants. «Dans les enquêtes déjà menées aux Etats-Unis et en Allemagne, on constate que ce sont les enfants qui, le plus souvent, s’impliquent, organisent la vie de leurs parents très âgés», commente Daniela Jopp, psychologue et professeure associée à l’Institut de psychologie de Lausanne. Cette spécialiste des centenaires mène actuellement, en Suisse, une recherche (soutenue par la Fondation Leenaards) intitulée Atteindre ensemble un âge très avancé. «Cette étude va nous donner des informations sur la relation entre le parent et l’enfant, sur le bien-être et la santé des deux, explique Daniela Jopp. Nous souhaitons pointer les besoins, informer les politiques ; proposer, par exemple, des structures où les enfants pourraient recevoir un soutien psychologique.» Car les enquêtes déjà menées par Daniela Jopp montrent que, si les deux partenaires relèvent surtout les côtés positifs de cette relation (les plus âgés notamment, très heureux de la présence de leurs enfants), les aspects négatifs ne manquent pas. «Ces parents-là sont souvent décrits comme très centrés sur eux-mêmes, ne comprenant pas les limites, parfois physiques, de leurs enfants. Ils peuvent aussi être encore très dominants et puissants. Il vaut la peine de pacifier la relation avant!»

 

Daniela Jopp recueille actuellement les témoignages, (en collaboration avec les professeurs Joëlle Darwiche et Dario Spini). «Mais c'est difficile de trouver des personnes qui parlent facilement de cette relation, surtout si elle est vécue avec une certaine difficulté.»

TÉMOIGNAGES

«Je le fais par obligation, mais aussi par amour»

photo: © Yves Leresche

«Tu as bien mangé à midi?» Alain s’est penché tout prêt d’Yvonne, sa mère de 95 ans, pour lui poser la question. «Elle n’entend plus, explique son fils. Elle ne participe plus aux animations. C’était une femme très sociale et, maintenant, elle est isolée.» Depuis trois ans, tous les mercredis et les dimanches, Alain Sudan, 67 ans, tient compagnie à sa mère, dans une maison de retraite en France, proche de son domicile genevois. «Il y a quatre ans, ma mère a eu une rupture d’anévrisme. Elle a passé 10 heures sur la table d’opération aux HUG, à 91 ans! Pour son âge, elle a bien récupéré.» Mais pas assez pour retourner à son domicile. Son fils s’est occupé de tout, de l’hôpital, de son nouveau lieu de vie, de son ancien aussi, où rien n’a changé. «Elle pense toujours pouvoir retourner dans son appartement. Pour lui faire plaisir, il arrive que nous y fassions une visite éclair», confie Alain.

«Tu y laisses ta santé»

Marié et papa d’une grande fille, Alain a toujours été proche de ses parents, puis un peu plus de sa mère, à la mort de son père en 1989. « Elle était très indépendante. Elle ramassait encore des champignons à 90 ans. » En prenant de l’âge, elle a sollicité son fils, toujours un peu plus. Mais, aujourd’hui, c’est tous les jours qu’elle réclame sa présence; qu’elle téléphone, parfois en pleurs. « Elle est en pleine dépression. Dans ce genre d’institution, on perd ses repères. Elle me demande pourquoi je la laisse avec tous ces vieux, alors qu’elle est l’une des plus âgées. Je pense qu’elle aimerait que je vienne vivre avec elle. »
Cette éventualité, ce retraité ne l’a pas même imaginée. « L’attention doit être quasi permanente. C’est trop lourd de s’occuper d’une personne dans son état ; tu y laisses ta santé. » L’assurance que sa mère est prise en charge par du personnel compétent n’empêchent pourtant pas une grande détresse. « C’est épouvantablement triste de voir sa mère se dégrader en sachant qu’il n’y a rien qui pourrait la contenter. En plus, je suis fils unique. » Heureusement, sa femme Rosemary est à son côté. Très compréhensive. «Nous arrivons à partir un peu en vacances. Elle supporte, me dit de prendre de la distance. J’ai décidé de ne plus prévenir ma mère de nos absences, sinon elle me fait du chantage, dit que je la laisse mourir. » La mauvaise nouvelle, le fils s’y attend. « Il faudrait qu’elle s’endorme. Elle aussi me dit qu’elle en a marre.»

Aussi par amour

Alain n’a pas vraiment réfléchi à sa propre vieillesse, « une chose à la fois, dit-il. Je souhaite cependant de ne pas finir comme ma mère, par rapport à ce qu’elle vit et fait vivre à son entourage. Ce que je fais aujourd’hui pour elle, je le fais par obligation, mais aussi par amour. Les deux ne sont pas incompatibles.


«On se sent responsable d’eux»

DR

« Ma mère aura 97 ans cet été et mon père 98. Ne me dites pas quelle chance j’ai de les avoir encore, c’est une remarque que seuls les gens qui n’ont pas eu de parents très âgés font », lance, sous forme de boutade, Anne-Françoise Chauvy, 71 ans. Malgré les coups durs, une sclérose en plaques diagnostiquée à 40 ans, le décès de son mari atteint de parkinson il y a quatre ans, la Vaudoise garde un esprit joyeux. « Mes deux grand-mères avaient la maladie d’Alzheimer. Maman m’a dit « on rit ou on pleure, alors mieux vaut rire », et j’ai décidé de faire mienne cette idée. » Pas question non plus d’émettre la moindre plainte, consciente de la situation privilégiée de ses parents qui peuvent encore vivre chez eux, à Pully, entourés, 24 heures sur 24, d’une gouvernante et d’aides à domicile.

«Je me suis trop impliquée»

« Elles sont huit, une vraie petite entreprise que j’ai gérée jusqu’à l’an passé. Et puis, mon corps a dit stop. » Anne-Françoise parle de cet épuisement qui l’a clouée au lit plusieurs semaines. « Pendant des années, je me suis trop impliquée. » Heureusement, son frère, retraité, est à son côté; son soutien est essentiel. « C’est une chance d’être deux, mais le plus difficile, c’est ce souci continuel qu’on ressent vis-à-vis de ses parents parce que, à un moment, la relation change, on se sent responsable d’eux. A chaque visite, on se demande comment on va les trouver. Ma mère ne me reconnaît pas toujours. Mon père, très affaibli, n’entend plus. Cela fait mal au cœur, car il y a cet amour qui est là.»

Fermer la porte

Après «cette casse physique», Anne-Françoise a appris à se protéger, à fermer la porte, un peu, à déléguer la gestion des aides et à ne plus téléphoner quand elle quitte Morges quelques jours. A passer aussi du temps avec ses quatre petits-enfants. «Pour mes parents, pour cette génération, c’est tout à fait normal que les enfants prennent soin d’eux. Qu’ils puissent aussi rester chez eux, coûte que coûte . Moi, je n’ai pas mis au monde ma fille et mon fils pour qu’ils aient à s’occuper d’une mère qui perd la tête. Je ne veux pas qu’ils vivent ce que je vis. Je ne veux pas être un poids pour eux.» Anne-Françoise en est sûre, dès que la porte d’entrée de son immeuble sera trop lourde, elle entrera dans un EMS ou un appartement protégé d’abord. Elle a fait ses directives anticipées, mis en ordre ses papiers, emménagé dans un trois-pièces au décès de son mari. «Je peux partir demain, mes enfants n’auront pas trop de soucis. Je n’ose même pas imaginer le jour où il faudra vider l’appartement de mes parents. Ce sera un gros travail, très dur émotionnellement.» Le décès de ses parents, Anne-Françoise y est préparée. «J’espère que la mort viendra comme une amie, c’est aussi le souhait de mes parents.»

Audrey Sommer

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