Votations américaines : « Je n’ai pas les moyens d’arrêter de travailler »

Images ©Axel Dupeux

Inca Mohamed, 66 ans - Médiatrice, mariée, sans enfants, Brooklyn, New York

Le 3 novembre, les Américains éliront leur prochain président sur fond de pandémie qui a fait des ravages chez les seniors aux Etats-Unis. Le démocrate Joe Biden, 77 ans, défie le président sortant Donald Trump, 74 ans. A cette occasion, générations est parti à la rencontre de person-nes âgées qui joueront un rôle clé le 3 novembre. Découvrez notre dossier spécial.

Côté pile, Inca Mohamed est Auntie Inca (tante Inca). La sexagénaire à la crête parfaitement sculptée et au piercing dans le nez qui est assise un matin d’août dans un grand parc new-yorkais, n’a pas d’enfants biologiques, et donc pas de petits-enfants. « Mais j’ai une ribambelle de neveux, de petits-neveux et même d’arrière-petits-neveux, précise-t-elle dans un grand éclat de rire. Dans la culture caribéenne dont je suis originaire, la tante est très importante. Elle est une présence rassurante dans la famille et a un rôle de confidente. »

 

 

Côté face, Inca Mohamed est Miss Inca. La femme qui a dévoué toute sa vie à la défense des droits des Noirs et des femmes œuvre toujours comme consultante et médiatrice pour des organisations non gouvernementales qui s’engagent pour les minorités. « Je travaille  beaucoup avec des jeunes Noirs dans le sud des Etats-Unis qui m’appellent Miss Inca, glisse-t-elle d’un ton complice. J’aime aussi cette marque de respect pour les anciens. »

Perte de repères

Inca Mohamed s’inquiète d’ailleurs énormément des ravages de la pandémie chez les seniors américains et, plus particulièrement, chez les seniors issus des minorités comme elle. « Le Covid-19 a tué énormément de grands-mamans qui ont un rôle clé pour les jeunes Noirs américains. Dans la communauté noire vivant dans la précarité, la grand-mère est un substitut de la mère pour des d’enfants souvent livrés à eux-mêmes par des parents absents. Ces jeunes privés de leur grand-maman par le Covid-19 ont perdu leurs repères. »

La sexagénaire née sur l’île caribéenne d’Aruba sait de quoi elle parle. Elle a immigré aux Etats-Unis avec sa maman à l’âge de 8 ans, mais a été élevée par sa sœur à Brooklyn : « A l’époque, ma mère travaillait comme aide à domicile. Je ne la voyais que le dimanche et un jeudi sur deux. »

Cette enfance a eu un profond impact sur Inca. Et, face à la situation inquiétante pour les jeunes Noirs dont elle s’occupe, pas question, pour elle, de prendre sa retraite. Son travail a néanmoins aussi une raison économique pour la femme de 66 ans vivant dans l’une des villes les plus chères du monde. « Je n’ai pas les moyens de m’arrêter de travailler, reconnaît-elle. Quand j’étais plus jeune, je voulais voir le monde. Je l’ai fait. Mais j’ai toujours été indépendante et n’ai pas de deuxième pilier pour compléter une rente qui ne me permet pas de survivre. Je ne pense donc pas pouvoir prendre ma retraite avant 70 ans. »

 

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Derrière son militantisme revendiqué, Inca Mohamed a d’ailleurs les mêmes préoccupations que les gens de sa génération. Avec un astérisque en plus. Elle est lesbienne. Dans un pays où l’assurance maladie est souvent liée à l’emploi, son accès à des soins de qualité est garantie par la couverture dont bénéficie son épouse sur son lieu de travail. Cette couverture s’applique aussi à Inca en vertu d’un verdict de la Cour suprême légalisant le mariage gay, en 2015 aux Etats-Unis.

 

Les conservateurs américains rêvent de faire marche arrière. Pour Inca, la défense des unions du même sexe sera donc l’un des enjeux de la présidentielle du 3 novembre. Mais ses espoirs pour l’Amérique post-3 novembre sont intimement liés aux opportunités que lui a offertes son pays d’adoption et aux problèmes qui y persistent. « Le racisme s’adapte et s’est institutionnalisé, affirme-t-elle. Les droits des femmes sont aussi constamment remis en question. J’espère que le prochain président s’attaquera à ces questions. »

 

Propos receuillis et textes de Jean-Cosme Delaloye

Photos d'Axel Dupeux, New York

 

Découvrir tous les portraits de notre dossier spécial sur les seniors qui ont fait l'Amérique

 

Elizabeth Holtzman, 79 ans Avocate en activité, célibataire, pas d’enfants ni de petits-enfants, Brooklyn, New York

 

 

Bob Gore, 73 ans - Entrepreneur et photographe, divorcé, trois enfants, un petit-fils, Brooklyn, New York

 

 

Bonita Knierim, 66 ans - Ancienne employée, mariée, trois enfants, pas de petits-enfants, Wayne, New Jersey

 

 

Zolio Guillen, 64 ans - Technicien en optométrie, marié, six enfants, treize petits-enfants, une arrière petite-fille, Paterson, New Jersey

 

 

Ina Breite, 81 ans - Enseignante à la retraite, veuve, deux enfants, pas de petits-enfants, Wayne, New Jersey

 

 

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