Jamais trop tard pour changer de métier

© Kurhan

Par obligation ou par choix, il n’est pas rare de se reconvertir professionnellement sur le tard. Conseils et témoignages de Romands qui ont franchi le pas.

Finie, l’époque où l’on apprenait un métier pour la vie! Le monde du travail a évolué et poursuit sa mutation. Certaines professions disparaissent, changent profondément, alors que d’autres se créent.

De quoi craindre pour son avenir professionnel, passé le cap de la cinquantaine? Pas nécessairement. En effet, la reconversion est potentiellement accessible à tous, quel que soit son âge. «A condition d’être réaliste avec ses compétences, prévient toutefois Jacques Bussy, administrateur et fondateur d’Oasys Consultants SA, à Lausanne et Genève, une société spécialisée dans le coaching de travailleurs licenciés et mandatée par les entreprises. Il faut surtout bien réfléchir à ce que l’on sait et veut faire: c’est le rôle du bilan de compétences. Cela dépend aussi des besoins financiers de la personne. On peut partir dans le rêve, bien sûr. Mais si des projets fous peuvent se concrétiser, la majeure partie des gens doit rester dans le réalisme.»

Davantage de sérénité: un avantage

Dans leurs bureaux, la part des 50 ans et plus représente pratiquement un tiers des personnes coachées. Certains saisissent cette opportunité pour se lancer comme indépendants. Mais la plupart cherche une, voire plusieurs activités à temps partiel, plutôt qu’un poste unique à plein temps.

Leurs atouts sur le marché du travail? «L’expérience, bien sûr, reprend Jacques Bussy. Le savoir-faire et la flexibilité, mais aussi la stabilité et une certaine sérénité: on n’a plus envie de marcher sur les pieds des autres! Les besoins changent aussi... Souvent, les enfants sont déjà autonomes. Quant au principal handicap, c’est celui que la société veut bien nous mettre sur le dos: l’âge, même si celui qui figure dans notre CV ne reflète pas toujours celui de notre dynamisme. Il est donc capital de prouver à la personne en face que vous êtes l’homme ou la femme de la situation.»

Second obstacle: la réputation des seniors actifs de coûter plus cher que les travailleurs plus jeunes. «Beaucoup se voient refuser un entretien d’embauche, à cause de ce préjugé, alors qu’une grande partie d’entre eux est prête à négocier leur salaire à la baisse.»

A 50 ans ou plus, une perte d’emploi peut aussi remettre en cause l’intérêt pour sa profession. Mais l’envie de se réaliser à travers une activité professionnelle plus proche de ses aspirations est bien souvent le moteur d’un changement radical d’activité.

Sandrine Fattebert Karrab

 

 

Créatrice de perles épanouie

De maîtresse de gymnastique rythmique, Michèle Cardis est devenue créatrice de perles de verre et de bijoux, à 56 ans. Par choix: «Thierry, l’un de mes trois fils, est souffleur de verre, explique-t-elle. J’allais voir ses créations dans des expositions. Je suis tombée sur les perles de verre, et à force, c’est devenu une véritable passion! Mon premier métier me plaisait énormément et jamais je n’aurais imaginé que j’en changerais un jour.» C’était il y a huit ans. Elle suit d’abord des cours, afin d’acquérir les finesses de la technique dite au chalumeau, et mène ses deux activités de front pendant deux ans. Aujourd’hui, dans son atelier Muscari à Monthey (VS), elle crée et expose des bijoux aux perles uniques et colorées. Avec succès. Dans cette transition, la Valaisanne a pu compter sur le soutien de son mari et de leurs enfants. «J’ai bénéficié de l’aide de tous dès le départ. Notre fils cadet, Benoît, ingénieur en mécanique, a dessiné et construit le four à cuisson. Quant à notre aîné, Didier, il photographie les créations.» Une vraie affaire de famille, en somme, et une décision que Michèle Cardis n’a jamais regretté: «Ce que cela m’a apporté sur le plan personnel? Des contacts humains, ça c’est vraiment fantastique! J’ai agrandi le cercle de mes connaissances, en suivant des cours de perfectionnement en Suisse, mais aussi à l’étranger.»

 

De photographe à restaurateur

«Je suis un sale gamin de 1953, que Mai 68 a perturbé. A l’école, on me disait doué. La preuve? J’ai commencé le collège avec un an d’avance et je l’ai terminé avec deux ans de retard!»

Patron du Restaurant Le Trappeur à Mase (VS) depuis 2004, Jean-François Luy plante le décor. A l’adolescence, il claque la porte du gymnase et entre à l’Ecole de photographie de Vevey. Un univers qu’il qualifie de carcéral et qu’il délaisse au profit d’un stage de photographe de presse chez ASL, puis en collaborant pour d’autres agences, telles que Keystone et AIR.

Il s’oriente alors vers le journalisme, après deux ans de stage. En 1980, il fait ses débuts chez Edipresse, alternant textes et photos, et dès 1989, il cumule ce poste avec celui d’attaché de presse pour la Rega qu’il rejoint définitivement trois ans plus tard. «Ce job me convenait parfaitement, mais en 1998, j’ai été licencié, suite à des divergences avec la nouvelle direction zurichoise. J’ai connu presqu’un an de chômage, une période que je n’ai pas forcément bien vécue.»

Il entre ensuite à L’Hebdo. «Pour mes 50 ans, j’ai fait partie d’une charrette, due à une compression budgétaire. Ma réaction a été immédiate: il était exclu que je revive une période de chômage comme la première!»

Cette fois, c’est la porte de la profession tout entière qu’il claque, après vingt-neuf ans et onze mois d’expérience! Il suit les cours de cafetier, puis son ex-belle-mère (et tenancière) lui montre les ficelles du métier. Le Valaisan d’origine rêve de retrouver le lieu et les copains de son enfance. C’est donc à Mase, dans le val d’Hérens, qu’il s’installe, lui aussi avec succès. «Au bout de neuf ans d’exploitation, je suis étonné de l’ampleur que le restaurant a prise. De 5, on est passé à 11 équivalents temps plein. J’ai rencontré Isabelle, une femme qui n’est pas plus restauratrice que moi à la base et que j’ai épousée. Son arrivée au Trappeur a donné une impulsion supplémentaire. L’an passé, on a franchi la barre des 140 000 repas, ce qui me donne le vertige! Notre image de marque, c’est l’accueil. J’ai toujours aimé les contacts humains et je suis complètement dans mon élément.»

 

Avocate et... mannequin!

Le cas de Catherine Loewe est un peu atypique. Si cette mère de quatre enfants s’est lancée dans le mannequinat à 56 ans, elle poursuit en parallèle sa carrière d’avocate, à Genève. Preuve que tout est possible, quel que soit son âge! «J’accompagnais l’une de mes filles à un casting de beauté, organisé par un grand magasin à Genève. Une dame s’est précipitée vers moi, en disant que j’étais exactement le type de femmes qu’elle recherchait!» La dame en question, c’est Zineta Blank, directrice de l’agence Visage, à Zurich.

C’était en 2009. L’idée de devenir mannequin fait son chemin dans l’esprit de Catherine qui, d’ailleurs, n’en est pas à sa première reconversion. D’avocate d’affaires, elle est devenue spécialiste dans le conseil d’institutions à but culturel, après un retour sur les bancs de l’université et un diplôme d’histoire de l’art à la clé. «Débuter à cet âge-là dans le mannequinat me semblait improbable. Bien sûr, j’en ai discuté en famille. Mes enfants ont trouvé que c’était amusant. Ils sont sans doute étonnés de voir que cela prend une telle ampleur.»

Le photographe, Wollodja Jentsch, qui collabore à Générations Plus, se charge de son book et en octobre 2011, elle pose pour Vanity Fair, version italienne, puis pour le magazine de luxe allemand Cocoon. Elle décroche même un rôle dans L’amour, c’est mieux à deux (2010), avec Clovis Cornillac. Sa deuxième carrière est lancée. «L’idée de Visage, c’est de faire une image haut de gamme, avec une vraie personnalité. Cela prend du temps, mais je préfère travailler peu et bien.»

Aujourd’hui, elle est la seule mannequin silver de City Models, à Paris et de Women Direct Milano.

Un article dans Le Blick, puis dans Le Matin l’an passé ont suscité des réactions très enthousiastes, dans son entourage et dans la rue. Et dans son milieu professionnel, de surcroît dans la Cité de Calvin? «Aussi, mais certains ont encore une perception du mannequin identique à celle d’une actrice du XIXe siècle!»

Mais ce qui l’a le plus surprise, ce sont les échos de jeunes modèles: «Elle se sont montrées super sympas. Alors que, dans ce métier-là, on recourt au Botox® à 22 ans par peur de vieillir, elles ont vu mon engagement comme un espoir. Quant à moi, je suis satisfaite de pouvoir montrer aux femmes une image différente, qu’à plus de 50 ans on n’est pas un truc à mettre au rebut!»

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