Et si on vivait tous ensemble?

Dans le film de Stéphane Robelin sorti en 2012, Jane Fonda, Guy Bedos et Pierre Richard découvrent les joies de la vie communautaire à 75 ans. Mais la colocation, ce n’est pas que du cinéma! Pour preuve, certains seniors suisses ont déjà adopté ce mode de vie.

« André, 55 ans, cherche colocataire, non-fumeur, de 45 à 70 ans.» Que ce soit pour des raisons financières ou pour briser la solitude, certains seniors sont prêts à vivre à plusieurs sous le même toit.

C’est le cas de Claire-Lise Décosterd. Avec sa sœur Isabelle (61 ans) et son compagnon, elle a acheté une maison à L’Isle (VD), où ils vivent depuis 2007. Une quatrième personne partage les lieux en simple locataire. «J’ai 62 ans, j’ai donc connu Mai 68... Au milieu des années septante, j’ai déjà vécu en colocation, mais cela a été un échec. Puis, j’ai eu des enfants, je me suis divorcée. J’ai alors vécu seule, c’était la première fois et sincèrement, j’ai bien aimé. Mais en discutant dans mon entourage, j’ai réalisé que je n’étais peut-être pas opposée à l’idée de vivre à plusieurs

Sa sœur et son ami sont sur la même longueur d’onde. Des amis, eux, se disent intéressés, mais finalement renoncent à faire le pas. «La question était alors de savoir si on partait quand même à trois ou si on attendait de pouvoir créer un groupe.»

Copropriétaires et colocataires

Finalement, ils achètent une bâtisse et la rénovent. Si chacun a sa chambre, les autres espaces sont communs: salle de bain, cuisine, salon et bibliothèque. «Les avantages? C’est la potentialisation des ressources. On se le dit souvent: nous avons un cadre de vie assez magique que nous n’aurions pas pu nous offrir seuls. Sur le plan humain, on enrichit son cercle d’amis en découvrant celui des autres.» Et à l’inverse, quel peut être le désavantage de vivre en communauté? «Nous avions beaucoup discuté au préalable. Il n’y a donc pas eu de grosse surprise. Comme je suis un peu plus sauvage que les autres, les invitations répétées d’amis des autres résidents peuvent me gêner parfois. Mais c’est vraiment une peccadille, car la maison est suffisamment grande.» L’avenir, elle l’imagine d’ailleurs à l’identique. Ou presque. «Plus tard, l’idée serait d’engager une aide à domicile. Mais c’est encore un peu tôt pour y penser: nous sommes encore tous trois actifs!»

Pour l’heure, les copropriétaires espèrent pouvoir équiper leur maison d’un monte-personne cet été encore, afin de pouvoir accueillir des personnes à mobilité réduite. «Nous avons aussi proposé à notre mère de vivre avec nous, mais elle a préféré la solution de l’EMS, pour ne pas peser sur nos vies.»

Démarches individuelles

Importée de l’Europe du Nord il y a quelques années déjà, la colocation chez les seniors reste toutefois marginale en Suisse, malgré la conjoncture. «Cela reste un compromis pour les étudiants, les jeunes ou personnes à faibles revenus», confirme Laurence Friedli, directrice adjointe de l’agence immobilière Foncia Fribourg SA.

Chez EasyWG.ch, le site internet N° 1 de la colocation en Suisse, Antonia Piersanti, directrice du département Développement, relève pour sa part une légère hausse du marché. «Nous avons constaté une augmentation du nombre d'annonces de recherche et d'offre de colocation déposées par des seniors d'environ 20,7% entre 2011 et 2012 et de quelque 29% entre janvier 2012 et janvier 2013. Cela reste toutefois un type de colocation de niche par rapport aux autres types. En effet, la colocation senior représente environ 3,1% de nos annonces déposées en Suisse. En 2010, ce pourcentage était inférieur à 1%.»

Après un veuvage ou un divorce...

Pourtant, ce mode d’habitat se profile comme l’une des solutions à la crise du logement ou... à une mauvaise passe financière. Autrement dit: certains ne trouvent pas d’appartement vacant ou à un prix abordable, alors que d’autres se trouvent confrontés à des difficultés financières, à la suite du décès de leur conjoint ou à un divorce. Des soucis financiers que redoute une personne âgée sur six en Suisse, voire un senior vivant seul sur quatre, selon une récente étude de l’Office fédéral de la statistique.

C’est cette dernière situation qui a poussé Brigitte à envisager la colocation. Une expérience qu’elle partage avec humour, sur le site lemonde.fr: «C’est idiot, mais les vieux divorcent – eux aussi – de plus en plus. Me retrouvant seule dans un grand appartement, et donc seule à assumer les charges, j'ai d'abord loué une chambre à un étudiant. Mais soyons clairs, à 64 ans, on a ses petites habitudes et peu de facilités – pour ma part – à écouter de la musique à 3 h du matin! Je n’ai rien contre la coloc, mais je n'ai plus l'âge de jouer L'Auberge espagnole à domicile! J'ai donc décidé de vendre mon appartement et je me suis mise à chercher une surface moins importante. Dans un deux-pièces cuisine, j'ai fini par tourner en rond, faisant la conversation à mon chat, passé 21 h. La solitude pour les seniors, c'est comme les cauchemars pour les gosses: ça attaque souvent la nuit! J'en devenais insomniaque. Une amie veuve m'a alors proposé d'emménager chez elle. Nous ne sommes pas dépendantes physiquement, ce qui facilite la cohabitation et les déplacements. Ensemble, nous pouvons nous offrir les services bihebdomadaires d'une femme de ménage, ce qui nous évite de nous crêper le chignon. On voyage séparément très régulièrement. Si notre cohabitation se déroule dans la bonne humeur, c'est parce que nous avons des habitudes de vie très proches et surtout parce que nous n'avons pas de problème pour remplir le frigo, ni pour payer les charges. L'une de nous deux serait aux abois financièrement, la musique ne serait sans doute pas aussi douce... que l'on soit senior ou pas.»

Solutions clés en main

A l’inverse des Français, les seniors suisses sont encore peu nombreux à se lancer dans la colocation de leur propre initiative. En revanche, plusieurs institutions ont repris le concept. A l’image du Centre médico-social (CMS) de la région sierroise qui gère des appartements intégrés à encadrement médico-social, appelés Domino (DOMIcile Nouvelle Option).

Fonctionnant sur le principe de la colocation, ces Domino abritent de 4 à 6 personnes et doivent se situer au cœur de la ville, au cœur d’un quartier animé, afin de réussir l’intégration sociale des seniors et renforcer les relations intergénérationnelles.

Comme pour n'importe quel domicile, le locataire paie son loyer et les charges. Les frais d'aide et de soins à domicile sont également à sa charge, après déduction des participations des diverses assurances sociales. Loyer, nourriture, blanchisserie et soins à domicile: le tout revient à quelque 2000 francs par mois et par occupant.

Une alternative aux EMS

«Domino s’adresse aux personnes, dont l’état de santé ne nécessite pas une entrée en EMS qui, par exemple, recherchent de la compagnie après un veuvage, tout en voulant garder leur chez-soi, explique le Pr Hermann-Michel Hagmann, initiateur de ce concept et démographe. Et que se passe-t-il si ce type de structure n’existe pas? Les seniors entrent tout de même en EMS, faute de choix.» Avec à la clé, une facture plus élevée pour le pensionnaire… et pour la société. Pour le fondateur du CMS de Sierre, le bénéfice de Domino est donc double.

«Avec une vraie politique du domicile, ces appartements fonctionnent parfaitement et répondent d’une façon heureuse aux attentes des locataires et aux besoins d’une partie des nouvelles générations âgées, mais ils sont encore insuffisamment développés, estime le Pr Hagmann. Les lobbies des EMS et de la construction sont puissants, et nous construisons trop de lits EMS en Suisse. Certes, nous en avons besoin, mais l’aide et les soins à domicile manquent de moyens. C’est donc une question de mesure: si nous retardons, par exemple, de six mois l’entrée dans un EMS, nous économisons 20% des lits! Il faut encourager davantage encore les soins et l’aide à domicile pour mieux maîtriser le nombre de lits, faire des économies, améliorer la qualité de vie de nos aînés et leur assurer une véritable liberté de choix pour leur lieu de vie.»

Emulation en Suisse romande

Quinze ans après son lancement, Sierre et ses environs comptent 5 appartements Domino, d’autres sont en projet. De tels logements existent aussi à Martigny et à Sion. Mieux: le concept s’est exporté, notamment à Courrendlin, où Pro Senectute Arc jurassien propose un tel appartement depuis l’automne passé. Quant au canton de Vaud, il s’intéresse lui aussi au développement de tels logements. Un jour, qui sait, petit projet deviendra grand?

Sandrine Fattebert Karrab

 

 

Pour en savoir +

APPARTEMENTS DOMINO

À LIRE

  • Manuel de survie des seniors en colocation de Christiane Baumelle, Editions Tournez la page
  • Colocataires de Danielle Steel, Presses de la Cité. Un roman où la colocation est synonyme de joyeuse complicité entre trois femmes et un homme, sur fond de crime et d’histoire d’amour

OFFRES ET DEMANDES

DISPONIBLES EN DVD

  • Et si on vivait tous ensemble? (2012) de Stéphane Robelin, avec Jane Fonda, Guy Bedos, Claude Rich, Pierre Richard. La colocation version seniors...
  • L’Auberge espagnole (2002) de Cédric Klapisch, avec Romain Duris, Cécile de France, Judith Godrèche. La colocation version jeunes...

 

 

Colocation: mode d’emploi

Vivre à plusieurs, pourquoi pas? Mais quelques règles sont à respecter, si on veut augmenter ses chances de succès, notamment en droit.

«La colocation n'est pas prévue expressément dans le bail à loyer, mais il est évident que le bailleur est en droit de savoir qui occupe son appartement», explique Sylviane Wehrli, juriste et ancienne juge de paix. Bien des gérances précisent d’ailleurs dans leur formulaire d'inscription que toute modification d'occupation des lieux doit leur être signalée. Parfois, en cas de colocation durable, il est même nécessaire de modifier le bail.

En revanche, si une personne loue une pièce de son appartement, il s'agit plutôt de sous-location, traitée à l'art. 262 du Code des obligations. Il en découle que le locataire doit signaler à la gérance toute sous-location, ainsi que les conditions. Le délai n'est pas mentionné, mais il doit permettre éventuellement à la gérance de s'y opposer, ce qui est le cas notamment si les conditions de sous-location sont abusives, ou si la sous-location présente pour le bailleur des inconvénients majeurs.

L’aspect humain joue un rôle primordial dans la réussite d’une telle expérience. Christiane Baumelle aborde la question avec pragmatisme dans le Manuel de survie des seniors en colocation: sur quels critères choisir ses colocataires? Comment vivre ensemble sans qu’aucun lien affectif n’existe? Quel type de maison choisir? Comment se répartir les tâches ménagères et se donner des règles de vie en commun? Autant de questions auxquelles répond cet ouvrage, qui comporte également des modèles types de règlement intérieur.

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