Les seniors d’Isérables font de la résistance

Gérald Lambiel, ex-gérant de la Raiffeisen d’Isérables, Nadine et son perroquet, Yves et Jacklyn Nicolet devant le mur désormais vide où les gens du coin avaient l’habitude de retirer du cash pour leurs emplettes au village ou pour leurs paiements. © Sandra Culand

La suppression d'un bancomat a fait souffler, cet été, un vent de révolte dans ce village valaisan perché au-dessus de la plaine du Rhône. La colère du Club des aînés et d’un ancien gérant de la banque n’en finit pas de faire des vagues dans le «Vieux Pays». Mais une solution a été trouvée!

Chaud et humide, le mois de juin 2022 a vu survenir de violents orages. A Isérables, un petit village perché à 1116 mètres au-dessus de la plaine du Rhône, c’est la Banque Raiffeisen qui s’est attirée les foudres, non pas des cieux valaisans, mais de la population de cette commune de 830 habitants, dont près d’un tiers de retraitées et de retraités. A l’origine de la colère: la pose d’un panneau affiché sur le bancomat du village annonçant sa suppression pour le 22 juillet. Une décision motivée notamment par la vente du bâtiment abritant l’ancienne agence au village et des raisons de coûts versus une faible rentabilité.

Aussitôt la nouvelle connue, la résistance s’organise. Pour le Club des aînés, qui mène la fronde, hors de question de laisser faire. Il fait tourner une pétition qui récolte 462 signatures parmi les Bedjuis (habitants du lieu). Déposée le 15 juillet dans les locaux de la Banque Raiffeisen Martigny Région, elle témoigne d’un fort soutien populaire. Pour Yves Nicolet, président du club, c’est avant tout une question de principe: «Pour la troisième banque du pays, qui ose afficher ses bénéfices annuels, cette décision est une mise à l’écart flagrante de nos aînés et pour tous les villages retirés.»

Ancien gérant de la Raiffeisen, du temps où elle avait encore un bureau à Isérables, Gérard Lambiel s’est lui aussi mobilisé contre cette suppression: «On dit que c’est le progrès. Il est où le progrès? On est en 2022 et on a déjà beaucoup moins de prestations qu’il y a quelques années!» Et de rappeler un argument marketing de la Raiffeisen: «L’argent du village au village.» Pour Gérard Lambiel, qui ira jusqu’à signer une tribune libre dans Le Nouvelliste, ainsi que dans le périodique régional mensuel L’Echo de la Printze, plus question désormais de parler d’une banque de proximité: «Elle peut vendre son slogan. Elle a déjà perdu son âme.»

Distributeur à portée de téléphérique

Peine perdue, la Banque Raiffeisen de Martigny Région maintient sa position en précisant les autres possibilités disponibles: terminaux de paiement pour les points de vente, terminal de paiement mobile, TWINT pour les commerçants. Et si vraiment, l’agence de Riddes est à portée de téléphérique. 

«Moi je pense aux personnes les plus âgées, affirme Nadine Pellissier, retraitée. J’essaie de me débrouiller avec l’e-banking, mais je me plante de temps en temps. Je dois alors appeler mon petit-fils.» De plus, explique-t-elle à la table de l’auberge Le Mont-Gelé: «Le téléphérique ça coûte!»  12 francs!  «Et puis l’agence de Riddes est à dix minutes de marche.»

Pour Yves Nicolet, les nouvelles technologies sont loin d’être maîtrisées par l’ensemble des seniors du village: «Si la carte bancaire a conquis quasiment tout le monde, elle est surtout utilisée par nos aînés pour retirer de l’argent et payer dans les commerces qui le permettent.» On notera au passage que le cash est encore exigé dans certains commerces du village.

Sommes à domicile

Quant à la livraison d’argent, le Club des aînés y voit la porte ouverte aux malfrats: «Non seulement la Raiffeisen prélève des frais, mais elle oblige ses clients à disposer de sommes plus ou moins élevées à leur domicile.»

Sur ce dernier point, Guillaume Carron, directeur-adjoint de la Banque Raiffeisen Martigny et Région, assure que les sommes livrées sont garanties par la banque et que ce système se révèle fiable jusqu’à nouvel avis. Pas insensible aux critiques, ce cadre se montre toutefois compréhensif vis-à-vis des aînés d’Isérables: «Bien entendu, l’e-banking n’est pas la réponse à la suppression du bancomat. C’est pourquoi nos collaboratrices de l’agence de Riddes ont eu des échanges téléphoniques avec notre clientèle de plus de 75 ans pour faire valoir nos solutions alternatives. Dans l’ensemble, les retours sont positifs.»

Le chaud et le froid

Sur le fond, Yves Nicolet et Gérard Lambiel sont d’autant plus en colère qu’ils ont encore à l’esprit un récent commentaire d’Emmanuel Troillet, président des Banques Raiffeisen du Valais romand, qui se voulait rassurant dans Le Nouvelliste du 5 mai dernier. N’y déclarait-il pas que les 160 bancomats du groupe disponibles en Valais n’étaient pas menacés, du moins pour cette année? Il précisait même: «C’est un service à la clientèle. Il n’y a pas d’enjeu de rentabilité avec les bancomats, sinon il y en aurait déjà moins.» 

Pour Guillaume Carron, la mission de proximité de la Raiffeisen ne saurait toutefois être prise à défaut dans le cas particulier d’Isérables. Et d’insister sur le fait que le bancomat, en bout de course, se trouvait, qui plus est, sur un immeuble qui devait être libéré.

Et les autorités communales, qu’en disent-elles? Au grand dam du Club des aînés, elles s’en lavent les mains. Irrévocable, la suppression de ce bancomat a, en tout cas, le mérite d’ouvrir la discussion, en Valais, ailleurs en Suisse aussi, sur les conséquences de cette tendance générale. 

Soutien de la Fédération valaisanne des retraités

Le Club des aînés d’Isérables a reçu en particulier le soutien de  la Fédération valaisanne des retraités (FVR — WVR), qui travaille en étroite collaboration avec Pro Senectute et l’Etat du Valais. «Avec la coprésidente Marianne Mathier, nous avons écrit aux autorités valaisannes et aux instituts financiers du canton les plus importants en demandant une analyse cantonale globale de l’accès à l’argent liquide pour les personnes âgées», explique Christian Bonvin, coprésident. Contact a également été pris avec l’association représentant les communes de montagne qui partage les préoccupations de la FVR — WVR. «Les plus de 60 ans représentent 26% de la population valaisanne. Il est de notre devoir de les représenter au mieux dans une démarche constructive visant des solutions pragmatiques. Même si nous n’avons pas encore reçu toutes les réponses, nous posons le problème en termes de responsabilité collective, citoyenne, de l’ensemble des protagonistes.» 

Quoi qu’il en soit, à Isérables, il est de nouveau possible de retirer de l’argent liquide. Le magasin local, Edelweiss Market, a pris le relais du bancomat. Il permet des retraits d’argent en cash à la caisse avec une carte bancaire ou une carte de crédit jusqu’à 200 francs par personne. Lors d’un prélèvement des frais de 1% sont prélevés. «Une demi-réussite pour Isérables, estime Christian Bonvin,  avec une analyse à élargir au plan cantonal.»

Nicolas Verdan

 

1 Commentaire

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Lamentable la façon dont on traite les anciens - pour les billets de transports publics les banques nous mènent en bateau avec leurs pseudos services. Y compris le banking : on fait le boulot, elles vous reprochent de ne pas avoir le système d'exploitation le plus récent et vous facturent des frais.....