Ce à quoi je ne renoncerais jamais

La baisse du pouvoir d'achat pousse chacun à revoir ses besoins essentiels et ses dépenses priotitaires. © iStock
La baisse du pouvoir d'achat et la péjoration de la situation économique obligent, en Suisse aussi, à réduire son train de vie ou du moins à déterminer ce à quoi nous renoncerions en aucun cas. Cinq Romand.e.s témoignent.
Jamais sans son véhicule
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Olivier, 59 ans, décorateur d’intérieur, sculpteur et professeur de tango, Môtiers (NE).
«Ne pas savoir comment on finira le mois est angoissant. Mais j’ai réussi à dépasser cette peur. C’est le fruit des investissements que j’ai fais sur ma personne depuis longtemps. J’ai en effet suivi plusieurs cours de développement personnel. Cela m’aide à prendre le recul nécessaire pour ne pas céder aux pressions ambiantes, sociétales surtout, sur ce qu’il faudrait posséder pour aller bien. Evidemment, il faut s’éloigner de ceux qui distillent la peur. Et se centrer sur cette confiance en la vie. Ce qui ne veut pas dire que je suis passif ou replié sur moi-même.
Depuis que je suis dans la déconsommation, je suis beaucoup plus acteur de ma vie
Depuis que je suis dans la déconsommation, je suis au contraire beaucoup plus acteur de ma vie. Je préfère faire du théâtre et de la danse qu’aller au spectacle. Je mange les légumes que je cultive dans le bout de jardin que ma propriétaire met à ma disposition. Je rencontre mes amis non pas au bistrot mais au cours d’une marche en montagne ou en faisant une sculpture sur bois. Ce à quoi je ne me verrais pas renoncer pour l’instant, c’est à ma voiture: elle est peu fringante, mais elle me permet de transporter tout le matériel dont j’ai besoin pour exercer mon métier. Ne pas avoir peur me permet aussi d’être ouvert au monde et d’accueillir ce que la vie dépose sur mon chemin. Avoir le temps de parler avec quelqu’un quelque part, c’est un bonheur. Cette philosophie n’est pas facile à appliquer quand on vit en couple ou en famille. Mais je vis seul et mes deux enfants sont adultes. Je suis libre et on ne peut rien me prendre.»
Jamais sans les cours de violon de son fils
Elena, 50 ans, en congé maladie, Gland (VD).
«Cela fait longtemps que je compte… Je suis arrivée de Moldavie en Suisse il y a vingt-sept ans. Je travaillais dans le domaine pharmaceutique et c’est à cause d’un médicament qui se fabriquait en Suisse que j’y suis venue et que j’y suis restée. Mes soucis d’argent ont commencé après la naissance de mon fils que j’assume seule et sans aide financière de son père. Je me suis rendu compte assez vite que mon petit Victor était doué pour la musique. Ayant joué de l’accordéon, du piano, de la guitare en Moldavie, ayant même été cheffe de chœur, je n’imaginais pas élever mon fils sans le mettre en contact de la musique. Je sais, pour l’avoir vécu, que lorsqu’on a accès à l’art et à la musique, on a accès à tout. Notre âme se dilate. C’est une nourriture spirituelle qui rend fort et donne un puissant sentiment de liberté. Sans musique, il nous reste quoi? Juste le matériel, comme les animaux en somme. J’ai donc inscrit mon fils à des cours de musique. Cela coûtait cher, mais j’ai asséché mes dépenses autant que j’ai pu. Je marchais plutôt que de prendre le bus, je renonçais aux dépenses inessentielles, les petits cafés avec des collègues, par exemple. Et, comme mon fils présentait des bonnes dispositions en musique et au violon, j’ai continué à l’inscrire à l’école de musique.
A chaque rentrée, je suis anxieuse
Une année, il a fallu que je me rende à l’évidence: mes efforts budgétaires ne me permettaient plus de payer les cours de musique. Les rappels d’impayés se sont succédé. J’ai cherché de l’aide et, par hasard, j’ai poussé la porte de Secours d’hiver à Lausanne. J’ai été très bien accueillie et l’association a compris ma démarche peu habituelle. En principe, les gens demandent de l’aide pour payer un loyer ou une dépense de santé. Mais les bons résultats de mon fils qui ne cesse d’obtenir des prix et de gagner des concours, ont plaidé pour lui. Plus tard, l’association m’a mise sur la piste de la Fondation Roger Federer qui a aussi accepté de soutenir le talent de mon fils. A chaque rentrée, je suis anxieuse cependant.
Victor parviendra-t-il à obtenir une nouvelle subvention pour poursuivre sa formation de musicien? Je ne peux pas imaginer que cela puisse s’arrêter, car ce serait comme de couper les vivres à quelqu’un. En tout cas, je suis prête à renoncer à bien me nourrir, à rogner encore davantage sur mon mode de vie pourvu que je dégage la somme permettant à mon fils de se réaliser.»
Jamais sans son petit café avec une amie
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Nena, 79 ans, infirmière à la retraite, Le Noirmont (JU).
«Je fais attention à mes dépenses pour deux raisons. Raison économique d’abord: je n’ai pas une rente fabuleuse, car je n’ai pas travaillé de manière continue. Et raison écologique. Depuis une quinzaine d’années environ, je me préoccupe de l’impact de ma manière de vivre sur l’environnement. J’ai donc peu à peu fait des choix de déconsommation. Je ne m’achète, par exemple, que cinq vêtements nouveaux au maximum par année et dont je connais l’origine. J’estime que j’en ai assez dans mes armoires.
J’essaie de ne plus me laisser tenter par les achats spontanés
J’essaie de ne plus me laisser tenter par les achats spontanés, notamment pour les objets de décoration. Quand je vois un très joli vase, par exemple, je fais l’effort de me souvenir si je n’en ai déjà pas un de ressemblant quelque part chez moi. Je n’utilise ma voiture que pour les courtes distances. Sinon, je prends le train pour faire des économies d’essence et de voiture. Plutôt que dépenser beaucoup pour une escapade touristique, qui pollue en plus, je me suis abonnée à une chaîne de télé qui me propose des documentaires culturels et de voyage. J’aime bien aussi les concerts retransmis à la télévision. La culture est importante dans ma vie, mais je cherche les bons plans pour y accéder à des tarifs préférentiels.
J’essaie aussi de faire du troc avec des amis. Si l’un s’abonne à un journal, moi, je m’abonne à un autre et on échange ensuite. On se prête le matériel: je trouve stupide de posséder des objets dont on ne se sert qu’occasionnellement. Si l’électricité et le gaz augmentent trop, je baisserai le thermostat du chauffage et enfilerai un pull de plus. Je ne suis pas inquiète. Je vois que j’ai des marges de manœuvre pour dépenser moins. En revanche, ce à quoi je ne renoncerais pas, c’est inviter des proches à la maison pour manger ou aller prendre un petit café avec une amie. Cela représente un budget, mais les liens sociaux sont importants pour moi.»
Jamais sans ses livres!
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Danièle, 59 ans, physiothérapeute, Ecoteaux, (VD).
«Pour le moment, les menaces d’inflation ne sont pas une source d’inquiétude pour moi. Plus pour mes enfants, des jeunes adultes de leur époque, plutôt décontractés par rapport aux dépenses et peu habitués à compter. Et, pour mes parents, qui sont retraités, locataires de leur appartement et dont le budget est serré. J’ai toujours fait attention à ne pas trop dépenser. D’abord, je n’éprouve pas de plaisir à consommer pour consommer. Et puis, j’ai eu quatre enfants à une époque où l’entreprise que nous avons créée, mon mari et moi, était en phase de décollage. Cela n’a pas toujours été facile. Quand on est indépendant, il faut faire attention à ses charges fixes. Encore aujourd’hui, je me trouve peu dépensière. Nous partons peu en vacances, car nous nous n’en éprouvons pas le besoin. Nous vivons dans un bel environnement. Je viens d’ailleurs d’inviter mes parents à passer cinq semaines dans un studio de ma maison pour qu’ils en profitent aussi. Nous mangeons la viande de nos vaches que nous partageons aussi avec mes enfants et mes parents. Ils apprécient beaucoup.
Bien qu’étant une adepte des «boîtes à livres», j’aime m’en acheter
Vivre à la campagne a cet inconvénient que nous sommes loin de tout. Une voiture rend bien service. Mais mon cabinet de physiothérapeute étant dans ma maison, je pourrais imaginer m’en passer. En revanche, ce dont je ne pourrais pas me priver, c’est de m’offrir des livres. Je suis depuis toujours une grande lectrice: je lis le matin avant de me mettre au travail, à midi en prenant le café et le soir encore, avant de m’endormir. Bien qu’étant une adepte des «boîtes à livres» où l’on peut prendre ou déposer des livres, j’aime m’en acheter. Autre renoncement qui me coûterait beaucoup: mon abonnement de théâtre. J’adore le théâtre. C’est non seulement l’occasion de découvrir des textes, de voir des spectacles vivants mais aussi de rencontrer des amis.»
Jamais sans son forfait téléphonique!
Dadou, 74 ans, artiste peintre, Les Hauts-Geneveys (NE).
«Je garde confiance dans l’avenir quoi qu’il arrive. Je vis dans une maison qui m’appartient avec une retraite AVS de veuve, je me sens chanceuse par rapport à certains. Même si, par rapport à d’autres, je vis très simplement. J’ai renoncé aux voyages pour des raisons écologiques. Depuis quelques années, je me contente d’excursions à la journée et de mes souvenirs. Si je plonge dans mes albums de photos, je retrouve les sensations que j’ai éprouvées alors. Je m’achète très peu de vêtements, j’estime en posséder suffisamment pour tenir jusqu’à la fin de ma vie. Je préfère cuisiner que d’aller au restaurant. C’est souvent meilleur! Je possède encore une voiture, mais je pourrais m’en passer, car la gare est à côté de chez moi. Si les loyers n’étaient pas si chers, je pourrais aussi quitter ma maison. Mais cela ne se serait pas rentable pour moi. D’autant que j’y ai aussi mon atelier de peinture dans lequel je donne des cours.
Si les loyers n’étaient pas si chers, je pourrais quitter ma maison
Pour diminuer ma facture de chauffage, j’ai fait installer des panneaux solaires. Et, si les fruits et légumes devenaient trop chers pour moi, je me mettrais à en cultiver dans mon jardin. Ce à quoi je ne renoncerais pas, en revanche, c’est à mon abonnement de téléphone. Ma fille et ses enfants vivent en Nouvelle-Zélande. Sans les conversations vidéo que j’ai régulièrement avec eux, je n’aurais pas de contact avec eux. A cause du covid et de nos moyens financiers respectifs, on ne s’est pas vu depuis trois ans et demi. Heureusement, mon forfait me permet de les appeler et de converser avec eux sans limites de temps. Mes petites-filles m’envoient des photos, elles me racontent ce qu’elles font. J’ai l’impression de les voir grandir. Quand je pense que, au siècle dernier j’aurais attendu six mois pour recevoir une lettre… Je goûte à ce privilège des temps modernes.»
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>> Lire aussi l'enquête sur la situation économique en Suisse
Propos recueillis par Véronique Châtel